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Dernière actualisation: mars 2013

11 mars 2013





Le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’Afrique: à la conquête de la dernière frontière pour les marchés agricoles et alimentaires...


Le rapport de la Banque mondiale intitulé «Growing Africa: Unlocking the Potential of Agribusiness» publié en janvier dernier, se fait l’apôtre du développement de l’agro-industrie en Afrique.


Présentant l’Afrique comme «la dernière frontière pour les marchés agricoles et alimentaires» et partant du constat que les ressources naturelles du continent sont sous-exploitées (l’Afrique détient plus de la moitié des bonnes terres agricoles non cultivées au monde, utilise moins de 10% de ses abondantes ressources en eau et les rendements y sont nettement  inférieurs à la moyenne mondiale pour toutes les cultures sauf le thé), le rapport met en avant le potentiel énorme du continent et les opportunités qu’il présente pour les investisseurs privés. Il fait ainsi miroiter la possibilité de plus que tripler la valeur des secteurs agricole et agro-industriel à l’horizon 2030 pour atteindre 1000 milliards de dollars par an pour l’ensemble du continent. La forte croissance de la consommation des villes africaines en pleine expansion qui devrait atteindre environ 400 milliards de dollars en 2013 et l’exportation vers un marché mondial dynamique se caractérisant par des prix élevés n’auront, selon le rapport, aucun mal à absorber  cette production supplémentaire.


Se fondant sur de multiples études récentes sur le secteur en Afrique, l’analyse des principales filières agricoles, l’analyse de 170 opérations d’investissement et l’opinion d’investisseurs privés et d’experts divers, le rapport formule un certain nombre de recommandations à l’usage des décideurs.


Les recommandations, bien dans la ligne traditionnelle de la Banque mondiale, cherchent à répliquer localement le système agroalimentaire dominant au niveau mondial. On y retrouve:


  1. Dérégulation des marchés nationaux et diminution du rôle qu’y joue l’Etat

  2. Libéralisation du commerce extérieur

  3. Rôle central dans les filières pour les opérateurs situés en aval (transformation, conditionnement et grande distribution)

  4. Segmentation du marché en un marché national de produits de moindre qualité, approvisionné par des producteurs moins sophistiqués, et un marché d’exportation respectant les normes internationales et approvisionné par des producteurs capables d’adopter les dernières techniques de production

  5. Libéralisation du marché des semences pour abattre les barrières empêchant l’introduction de semences nouvelles externes notamment les OGM

  6. Promotion de la consommation d’engrais chimiques, y compris par le recours à des subventions «malines»

  7. Soutien à la recherche tant publique que privée et les transferts de technologies par l’intervention d’investissements extérieurs

  8. Développement les infrastructures par des investissements publics ou des partenariats public-privé

  9. Identification des projets qui pourraient intéresser les fonds de pension et autres opérateurs financiers

  10. Formation des habitants des zones rurales pour les rendre éligibles pour les emplois que les investissements créeront

  11. Intégration des communautés locales soit par l’agriculture contractuelle, soit en leur donnant des participations dans les investissements en échange de la terre.


Le rapport comprend naturellement quelques recommandations «politiquement correctes» visant à (i) sécuriser les droits fonciers individuels et des communautés et assurer que les investissements fonciers extérieurs soient plus favorables aux populations locales; (ii) à utiliser des formes innovantes de crédit sécurisant le financement d’un nombre accru d’opérateurs qui ne sont pas éligibles pour les financements traditionnels; et (iii) l’amélioration des systèmes d’informations sur les marchés.


Mais derrière ces bémols, on voit cependant bien se dessiner le modèle que la Banque mondiale cherche à promouvoir en Afrique: attirer des grands investisseurs en vue d’exploiter les richesses locales dans un cadre de dérégulation et d’ouverture extérieure, à partir de l’application de technologies agricoles de l’agriculture industrielle conventionnelle, pour ne laisser aux populations rurales que l’option du salariat ou une migration accélérée vers les villes. Si cette recette est certainement susceptible de créer un boom productif pour alimenter les marchés urbains nationaux et le marché mondial, et de générer des profits considérables pour la poche d’une minorité, elle ne contribuera certainement ni à réduire la pauvreté et la faim en Afrique, ni à mettre en place dans ce continent un développement durable, c’est à dire viable économiquement, socialement et du point de vue environnemental.


N’oublions pas que croissance ne veut pas dire réduction de la faim. A preuve: alors même que l’Afrique connaissait pendant la première décennie de ce siècle une croissance du revenu moyen par tête de 5% par an en moyenne, le nombre de personnes souffrant de la faim augmentait de plus de 30 millions...


Le rapport se réfère à des modèles dont l’Afrique devrait s’inspirer tels que le Brésil, la Colombie, l’Indonésie, la Thaïlande et l’Ukraine. Mais sont-ce là les modèles d’un développement durable qu’il faudrait souhaiter pour l’Afrique? Il est permis d’en douter.


Lire:

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