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11 février 2021


COVID-19 : L’agriculture est-elle la grande coupable ?



Un peu plus d’un an après son déclenchement, la crise de la COVID-19 continue d’ébranler le monde. Avec, à ce jour, près de 110 millions de cas enregistrés et presque de 2,4 millions de morts (comparé à 1,6 million de cas et 180 000 morts il y a neuf mois), la pandémie a un impact spectaculaire et dramatique sur l’économie mondiale. D’énormes programmes sociaux et de relance ont été approuvés qui se mesurent en milliers de milliards de dollars. Malgré cela, il est clair dorénavant qu’en dépit du développement récent de vaccins, la crise se poursuivra encore pendant de longs mois et son impact sera ressenti sur plusieurs années.


La mission de l’OMS qui vient de visiter la Chine pour enquêter sur l’origine de la pandémie n’a pas tiré de conclusion catégorique sur la provenance du SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. Elle a cependant exclu qu’un accident de laboratoire ait pu être la cause de son déclenchement. Elle a pointé l’origine animale du virus, probablement une chauve-souris, sans, toutefois, indiquer quel aurait pu être l’animal vecteur entre les chauves-souris et les humains, le pangolin, suspect initial, ayant été disculpé.


Ce résultat provisoire s’inscrit dans la thèse générale qui affirme que c’est l’interaction entre les humains et les animaux qui se trouve être la raison profonde de l’apparition des épidémies du SRAS en 2002, de la grippe aviaire en 2004, d’Ebola en 2014 et de la COVID-19 en 2019.


Les faits


Des publications scientifiques ont souligné depuis des années que 60 % des maladies infectieuses des humains ont une origine animale, dont 72 % proviennent de la faune sauvage, et qu’elles sont en augmentation [lire en anglais]


Figure 1 : Nombre annuel de désastres épidémiques viraux mondiaux (jusqu’à 2019 inclus)*



  1. * La barre pointillée pour 2020 indique que la collecte des données pour l’année n’est pas encore terminée, mais que la COVID-19 comprend un grand nombre d’événements épidémiques dans le monde entier.

  2. Source : FAO basé sur EM-DAT : The Emergency Events Database – Université Catholique de Louvain

  3. Télécharger la figure: epidemies.png


Quelques explications plausibles


La plupart des interactions entre les humains et la faune sauvage se produisent pendant les activités de chasse et de cueillette en forêt, et lors des travaux de déforestation. C’est cette dernière occupation qui est en général citée dans la littérature scientifique comme principale cause des contacts.


Selon la FAO, la superficie de la forêt a décru de presque 4 % entre 1990 et 2018, à un rythme de diminution de 0,1 % par an [lire en anglais] pour être remplacée par des terres agricoles. L’agriculture est donc considérée comme la principale cause de la déforestation. La petite agriculture de subsistance et la grande agriculture commerciale jouent toutes les deux un rôle essentiel dans ce processus, la seconde semblant devenir de plus en plus l’acteur majeur du défrichement [lire].




Cependant, la déforestation seule ne saurait expliquer la soudaine multiplication des épisodes épidémiques observée au cours des 20 dernières années, dans la mesure où les deux phénomènes n’ont pas augmenté au même rythme, la fréquence et l’importance des épidémies grandissant bien plus vite. Le déboisement a pu contribuer à accroître le nombre d’humains entrant en contact avec la forêt, mais ce groupe ne constitue qu’une très petite minorité comparée à la population humaine totale, probablement plus faible que jamais au cours de l’histoire.


Depuis toujours, l’humanité a utilisé la forêt pour chasser et cueillir sa nourriture. Mais jusqu’à une période très récente, les individus en contact avec la faune et risquant d’être infectés vivaient dans des régions isolées et étaient peu mobiles. Ils n’étaient, par conséquent, que peu susceptibles de transmettre leur mal à d’autres humains.


Aujourd’hui, au contraire, les gens sont bien plus mobiles et les échanges se sont développés. C’est vrai au niveau local, dans la mesure où les personnes se déplacent depuis les zones rurales vers les villes, notamment pour y vendre de la viande de brousse au marché. Et c’est également avéré au niveau mondial, où les voyages et le commerce contribuent à la dissémination des maladies [lire]. Or, ces deux activités ont connu une croissance exponentielle depuis les années 1990 :


  1. Selon la Banque mondiale, le nombre de passagers aériens est passé de 1,2 milliard par an au cours des années 1990 à presque 4,5 milliards juste avant le début de la pandémie de la COVID-19 ;

  2. Selon l’Organisation mondiale du commerce, le commerce a augmenté de 3 500 milliards de dollars en 1990 à 19 000 milliards de dollars en 2018 (en plus du commerce légal, le trafic illégal de faune sauvage s’est également fortement développé).


En outre, les agents pathogènes disséminés par les voyageurs et les marchandises finissent par atteindre des individus qui, à cause de leur style de vie et leur âge, sont devenus plus vulnérables à de nouvelles infections. En effet, les modes de vie « modernes » comportent un risque moindre d’exposition, surtout pour les personnes les plus aisées, et il est établi que l’immunité humaine décroît avec l’âge.


Voilà sans doute une partie de l’explication du nombre apparemment plus grand de victimes de la COVID-19 dans les pays riches que dans les pays pauvres. Une autre hypothèse pourrait être que les pays riches, eux-mêmes, sont devenus plus vulnérables. Une raison pour cela est que, peut-être par arrogance, ils ont estimé qu’ils pouvaient se dispenser de se parer à l’éventualité d’une épidémie, les pandémies étant, pensaient-ils, des événements du passé !


Les solutions


Interdire la destruction d’habitats forestiers, la chasse, la cueillette et le trafic de la faune sauvage pour contrôler le flux d’agents pathogènes, à la source, est souvent vu comme la solution pour réduire les risques d’une future propagation qui pourrait provoquer une nouvelle pandémie.


Cependant, l’interdiction de la consommation de viande de brousse, qui peut avoir une place importante dans le régime alimentaire de certains groupes de population, pourrait avoir des conséquences graves pour la protection de l’environnement. Par exemple, des chercheurs ont estimé que pour remplacer la viande de brousse consommée dans le Bassin du Congo par de la viande d’élevage bovin demanderait la conversion en pâturages de 25 millions d’hectares de forêt [lire en anglais]. Sinon, priver la population locale de cette source de protéine et de revenu pourrait avoir des effets sérieux sur la nutrition, surtout celle des enfants.


La complexité de la question exige de prendre beaucoup de précautions et d’éviter les solutions précipitées et radicales [lire en anglais].


Conclusion (provisoire)


La réponse à la question qui se trouve dans le titre de l’article est : oui, l’expansion de l’agriculture joue un grand rôle dans l’émergence d’agents pathogènes. Il en est même pour certaines habitudes alimentaires traditionnelles. Cependant, pour que cette émergence se transforme en pandémie, des vecteurs sont nécessaires pour les transporter aux quatre coins de la terre. L’explosion des voyages et du commerce ont certainement eu une place centrale dans ce processus.


La solution à ce problème n’est pas aisée.


Renforcer le contrôle sur les produits échangés et les voyageurs provenant des zones à risque élevé peut s’avérer utile. Mais il a un coût.


La mise sous protection de la forêt, pour souhaitable qu’elle soit, demandera un fort engagement politique des États pour contrôler effectivement les activités des compagnies forestières. Elles provoqueront également une perte sèche économique pour les pays concernés.


Une interdiction totale de la consommation de viande de brousse et du trafic de faune, en plus d’être difficile à mettre en œuvre, pourrait aussi rejaillir et encourager davantage de déforestation pour libérer des terres en vue de produire de la viande et procurer des revenus de remplacement, tout en ayant, dans l’immédiat, des conséquences nutritionnelles sur la population vivant en bordure ou dans la forêt.


Cependant, le coût des pandémies peut être si gigantesque, comme l’illustre la COVID-19, qu’il est justifié d’investir dans des mesures préventives et de compenser les pertes que celles-ci occasionneront.


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Pour en savoir davantage :


  1. FAO, How to feed the world in times of pandemics and climate change? Opportunities for innovation in livestock systems, 2021 (en anglais).

  2. M. Chipeta, Zoonotic pandemics’ interface with forests and agriculture, Baobab, 2021 (en anglais).

  3. Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, Covid-19, the Environment, and Food Systems: Contain, Cope, and Rebuild Better. UNEP 2020 (en anglais).

  4. G-F. Dumont, Le covid-19 : la fin de la géographie de l’hypermobilité ?, Société de géographie, 2020.

  5. K.E. Jones et al., Global trends in emerging infectious diseases, Nature, 2008 (en anglais).


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Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Le dilemme de la COVID-19 : Santé ou économie ? 2020.

  2. Opinions : Le dur retour de la réalité - Réflexions autour de la crise de la COVID-19, par M. Maetz, 2020.

  3. La forêt: les communautés rurales prises entre les marchés et l’objectif de préservation de la planète, 2013.

 

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Dernière actualisation :    février 2021