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15 octobre 2019


Nouvelles preuves des violations des droits humains et du travail dans nos chaînes alimentaires


À partir de centaines d’interviews de travailleurs des plantations de thé en Assam (Inde), d’enquêtes sur les travailleurs des fermes produisant du raisin, des melons et des mangues au Brésil, et sur des fermes et plantations de pays comprenant le Costa Rica, l’Équateur, le Pérou, les Philippines et les États-Unis, Oxfam produit de nouvelles preuves sur le fait que la souffrance humaine est un ingrédient habituel de notre alimentation.


Le travail de recherche commandité par l’ONG internationale montre que les personnes produisant la nourriture que nous mangeons sont souvent les victimes d’une exploitation économique systématique et souffrent d’un déni de leurs droits les plus fondamentaux.




La « recherche continuelle d’une diminution des coûts et d’une maximisation des profits », une compétition féroce et le besoin d’offrir des prix attractifs aux consommateurs sont les principaux ressorts de la situation faite d’abus et de pauvreté trouvée sur le terrain par les chercheurs commandités par Oxfam.


Des salaires extrêmement bas et des jours de travail prolongés constituent le lot commun des personnes produisant les produits alimentaires exotiques qui nous sont proposés par nos supermarchés et que beaucoup d’entre nous apprécient tant. De ce fait, les travailleurs ne reçoivent qu’une part ridiculement minime du prix que les consommateurs payent pour les denrées qu’ils produisent : les estimations des chercheurs commandités par Oxfam pour analyser le thé d’Assam montrent que tandis que les marques de thé et les supermarchés s’appropriaient entre 67 % et 94 % du prix payé par les consommateurs, la rémunération du travail n’en représentait qu’à peine entre 1 % à 4 % !


Ces chiffres confirment des résultats d’analyses antérieures [voir ici un exemple de structure de prix] et font penser que si l’on payait aux travailleurs un salaire vital, cela n’aurait que peu d’influence sur les marges des compagnies de grande distribution ou les prix au consommateur. On rappellera ici qu’un salaire vital est un salaire qui apporte suffisamment de revenu à un travailleur et à sa famille pour satisfaire leurs besoins fondamentaux (logement, nourriture, habits, santé, éducation, énergie, protection sociale…) en respectant la durée de travail maximale légale (soit un maximum de 48 heures par mois selon les conventions de l’OIT) [voir ici la comparaison entre le salaire minimum et le salaire vital dans quelques pays d’Asie - en anglais].


Des conditions de travail dures et le manque de sanitaires et d’eau potable sûre a des conséquences sur la santé des travailleurs, comme le constatèrent les enquêteurs en Inde où le choléra et la typhoïde sont fréquents. Au Brésil, l’exposition aux pesticides cause le développement de maladies et la peau et d’allergies.


Les travailleuses « ont souvent les emplois les moins bien payés et les plus intenses, et elles font souvent face à des discriminations sexistes et des abus sexuels au travail ». Cela confirme des informations portant sur la situation existant dans le secteur de la production de fraises en Espagne [lire] et dans des plantations de thé Unilever au Kenya [lire].


Selon Oxfam, la nourriture produite dans des conditions intolérables ainsi décrites termine dans les supermarchés Aldi, Lidl, Costco, Morrisons, Sainsbury’s et Tesco, notamment. Sur la base d’une analyse soigneuse des politiques et des pratiques de chaque chaîne de supermarchés, de leur pratique avérée de protection des travailleurs, des paysans et des femmes, Oxfam a donné à chaque compagnie un score total noté sur 100 %. Les résultats trouvés sont accablants : les pires résultats sont obtenus par Jumbo et Kroger (0 %) et Aldi (1 %). Lidl est noté à 5 % alors que les meilleurs « élèves » sont Tesco (23 %), Sainsbury’s (18 %) et Walmart (17 %), ces trois compagnies étant également celles pour qui le comportement est en amélioration la plus rapide [lire].


Sous la pression de campagnes menées par diverses ONG et associations, les entreprises de grande distribution ont commencé à améliorer leur pratique, mais l’expérience montre qu’il subsiste un écart très important entre les déclarations faites et les engagements pris et la pratique réelle. On peut regretter que, pour l’instant, le système de notation d’Oxfam ne couvre pas l’ensemble des principales chaînes de supermarché ; on peut espérer que cette liste s’accroîtra bientôt pour inclure d’autres acteurs importants, notamment les grands opérateurs français tels que Carrefour, Casino ou Leclerc.


Une réaction est également en cours au niveau des politiques : par exemple, l’Union européenne a adopté en 2019 de nouvelles règles interdisant les pratiques commerciales déloyales des supermarchés et des grands acheteurs [lire]. Mais davantage est nécessaire : une coalition d’organisations de la société civile a publié un appel pour une législation sur les droits humains et l’environnement au début de ce mois d’octobre 2019 [lire l'appel en anglais].


À lafaimexpliquee.org, nous estimons qu’en plus des campagnes et des modifications des politiques et réglementation, un comportement plus responsable des consommateurs s’impose qui obligera les entreprises à améliorer leur mode d’opération. Pour cela, les consommateurs devraient choisir d’acheter les produits des compagnies qui montrent des signes d’amélioration, d’éviter celles qui persistent dans des pratiques intolérables et, dans la mesure du possible, d’opter pour la consommation de produits équitables dûment certifiés.


Sur ce dernier point, il est encourageant de noter que les consommateurs augmentent régulièrement leurs achats de produits du commerce équitable. En France, par exemple, le volume des produits du commerce équitable a pratiquement doublé entre 2015 et 2018 [lire].




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Pour en savoir davantage :


  1. Wilshaw, R. et R. Willoughby, Grande distribution: Nouvelles révélations sur les violations des droits des travailleurs et travailleuses dans les chaînes, résumé en français, Oxfam, 2019. Voir également le rapport complet en anglais.

  2. Commerce équitable France, Les chiffres du commerce équitable, 2019.

  3. Maetz, M., Octuor, Tome 1, Troisième tableau : Le monde exploité, roman, présentant une description des conditions de travail et de vie d’une ouvrière de la confection en Asie du Sud-Est, Vérone Éditions, 2019.

  4. Willoughby, R. and T.Gore, Derrière le code-barre: des inégalités en chaînes, Oxfam, 2018.

  5. Living Wage versus Minimum Wage, Asia Floor Wage, Webpage, 2014 (en anglais).

  6. Goodplanet Info, Accusation de mauvais traitements et de harcèlement sexuel dans une plantation de thé labelisée, 2011.



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Espagne : des fraises au fort goût de sexe et de pesticides… 2019.

  2. Les frontières dans l’économie mondialisée - Contrôle de la main-d’œuvre, mobilité des marchandises et des capitaux, pérennité des profits et creusement des inégalités, 2018.

  3. Opinon : Des prix équitables pour un revenu vital, par Ruud Bronkhorst, 2017.

  4. Notre système alimentaire : quelques raisons d’espérer… 2017.

  5. La face cachée du chocolat: une comparaison des filières cacao ‘conventionnelle’, ‘durable’ et ‘équitable’ , 2016.

  6. Ces grandes compagnies qui veulent notre bien... : comment elles essayent de se créer une image d’agent du développement respectant l’éthique, 2015.

 

Dernière actualisation :    octobre 2019

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