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19 août 2015


Ces grandes compagnies qui veulent notre bien... : comment elles essayent de se créer une image d’agent du développement respectant l’éthique


Bien qu’il ne représente qu’une petite partie du marché, le Commerce Equitable est devenu une menace pour les grandes multinationales alimentaires, surtout pour certains produits tel le café où le Commerce Equitable pèse près de 5% du volume des transactions.




Le Commerce Equitable se caractérise par un effort tout particulier de transparence sur sa façon d’opérer et par une information de qualité présentée aux consommateurs sur l’origine de ses produits et les principes mis en oeuvre pour assurer un commerce véritablement ‘équitable’  et parmi lesquels on trouve notamment :


  1. Des conditions de travail décentes pour les producteurs (paysans, ouvriers et artisans)

  2. Des prix payés aux petits producteurs qui sont systématiquement au-dessus du prix du marché, avec un prix minimum garanti

  3. Des contrats commerciaux sur le long-terme qui donnent de la sécurité aux producteurs

  4. L’obligation pour les petits producteurs de faire partie de coopératives ou d’associations opérant de façon démocratique

  5. Le respect de l’environnement et des ressources naturelles

  6. L’absence de toute discrimination de genre, de religion ou autre.


Typiquement, les emballages des produits du Commerce Equitable présentent des informations sur leur origine spécifique (souvent une coopérative particulière d’où provient le produit primaire) et souvent ils pointent vers des sites de la toile où il est possible de voir ce que les réalisations concrètes du Commerce Equitable signifient pour la vie quotidienne des petits producteurs.


Comme c’est souvent le cas pour des mouvements animés principalement par des volontaires très motivés, les associations de Commerce Equitable opposent ces principes aux ‘pratiques inéquitables’ adoptées très largement par les multinationales qui dominent le ‘commerce conventionnel’ et qui maintiennent les petits producteurs dans la pauvreté et la vulnérabilité, contribuent à la dégradation de l’environnement, etc.


Bien que la plupart de ses produits soient généralement plus chers pour le consommateur que ceux du commerce ‘conventionnel’ (inéquitable), un nombre croissant de consommateurs dans les pays riches et, plus récemment, des consommateurs des classes moyennes dans les pays émergents, achètent des produits du Commerce Equitable, produits alimentaires, produits de l’artisanat, produits cosmétiques, habits, etc.


Les grandes multinationales se sentent donc menacées tant du point de vue commercial que, bien davantage encore, du point de vue de la communication et de la morale.


Elles ont donc lancé quelques initiatives, dont la plus connue est sans doute l’Association 4C (Code Commun pour la Communauté du Café), basée en Suisse. Au départ, cette association fut créée par le Ministère allemand de la Coopération et du Développement et son agence technique, la GIZ, ainsi que par l’Assocation allemande du café qui regroupe les principaux acteurs économiques travaillant avec le café en Allemagne. Très rapidement, 4C a été rejoint par les agences de coopération suisse et britannique et par la Fédération européenne du café qui rassemble les principaux commerçants et industriels du café tels que Louis Dreyfus, Nestlé, Lavazza et bien d’autres.


D’après le dernier rapport annuel de l’Association 4C (août 2015 - non disponible en français), le nombre de ses membres est en augmentation rapide (+33% en 2014) et est assez équilibré en nombre du point de vue géographique. Le rapport affirme également que, d’un total estimé de 25 millions de producteurs de café travaillant sur environ 10 millions d’hectares, 1,4 million de travailleurs et 1,6 million d’hectares participent à la production de café selon les normes 4C et que 29% de la production mondiale de café est compatible avec sa « norme de niveau d’entrée » (Entry-level Standard). Ces chiffres suggèrent que 4C regroupe les producteurs les plus grands et les plus productifs au monde. 4C coopère aussi avec d’autres organismes de certification tels que Rainforest Alliance et Fair Trade International. En 2014, le café certifié 4C représentait 2,6 millions de tonnes, à comparer aux 0,5 million de tonnes de Fair Trade International et aux 0,7 million de tonnes d’UTZ Certified.


La liste des membres de 4C montre plus de 100 producteurs (plantations et coopératives), plus de 30 acheteurs finaux (comme ALDI, Lidl, Melitta, Nestlé, Tchibo et Tenco), quelques organisations de la société civile (comme Fair Trade Kenya, Fairtrade Labelling Organisation Allemagne, Rainforest Alliance et Technoserve US) et un grand nombre d’acheteurs intermédiaires d’importance très variable parmi lesquels Louis Dreyfus Commodities, Noble et Sucafina.


Mais que fait donc 4C ? L’association :


  1. A développé un code de conduite et des règles de participation pour les membres qui sont des entreprises commerciales et industrielles (ce code identifie 10 pratiques inacceptables et 30 critères de base avec 90 indicateurs)

  2. Met en oeuvre un système de certification

  3. A des services de soutien (ateliers et cours de formation, certification et inspection homologuées ISO 65, traçabilité)

  4. Travaille avec les producteurs produisant plus de l’équivalent d’un conteneur (les autres étant exclus).


Le but affirmé de son programme est d’éliminer les pires pratiques, augmenter la durabilité de la production et de la transformation du café dans le domaine économique, social et environnemental. Les membres de l’association doivent s’acquitter d’une cotisation annuelle pour bénéficier de ses services.


Sont exclus des activités de l’association :

  1. Toute règle concernant les prix qui restent fixés par le marché, sans aucune possibilité d’obtenir un bonus du fait de la participation à l’association, ce qui constitue une différence majeure avec le Commerce Equitable

  2. Toute négociation entre membres de 4C.


En résumé, 4C applique un code qui exclut quelques pratiques inacceptables, organise des formations en vue d’améliorer la gestion de la culture de café (y compris une gestion plus efficace des pesticides), mais ne cherche pas à améliorer les conditions de travail ou la rémunération des producteurs. Il apparait clairement de cette brève description que les pratiques de 4C ne sont pas compatibles avec les principes du Commerce Equitable vus auparavant. Il est important de bien expliquer cette différence aux consommateurs. En somme, 4C apparait ‘favorable’ à la productivité et, dans une certaine mesure, aux ressources naturelles (bien que l’utilisation de pesticides synthétiques soit autorisée), pour les industriels du café et pour les consommateurs, mais pas vraiment pour la grande masse des producteurs.


La Specialty Coffee Association of America (SCAA) a comparé en 2009 différentes initiatives telles que 4C, Rainforest Alliance, Smithsoniam Bird Friendly, UTZ Certified, la certification organique et Fair Trade International (voir tableau en anglais SCAA.pdf). Ce n’est que dans le cas du Commerce Equitable que le prix, le revenu et les conditions de travail des producteurs sont véritablement pris en compte et que les modalités du commerce sont modifiées pour le rendre plus équitables. Les autres associations ne cherchent pas à modifier les règles inéquitables du commerce international qui sont pourtant l’une des causes principales de la pauvreté dans le monde.


Pour nous, à lafaimexpliquee.org, il parait essentiel que le mouvement du Commerce Equitable communique plus clairement sur ce qui différencie ses principes des règles appliquées par des organisations telles que l’Association 4C, et sur les implications qu’ont ces différences sur la façon dont est mené le commerce international ainsi que sur les conditions de travail et de vie de millions de producteurs agricoles et d’artisans.


Parmi d’autres initiatives semblables à 4C, mais pour d’autres produits que le café, on peut citer des organisations telles que la Fondation mondiale pour le cacao - World Cocoa Foundation - (qui a notamment pour membres Mars, Lindt, Kellog, BASF, Haigh’s, Godiva, Noble, Cargill, Starbucks, AgroTraders, Barry Callebaut, Ferrara, Cemoi, Valhrona, Nestlé, ADM et beaucoup d’autres) et l’Association pour le sucre - Sugar Association - basée à Washington (qui a pour « mission d’éduquer les professionnels de la santé, les médias, les responsables gouvernementaux et le public sur les bienfaits du sucre »’).


Cet effort d’information par le mouvement du Commerce Equitable nous parait essentiel, car sinon son message sera perdu dans le vacarme de communication organisé par les multinationales et leurs associations.


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Pour en savoir davantage:


  1. -Site web de 4C Association http://www.4c-coffeeassociation.org (en anglais, espagnol, portugais, vietnamien, indonésien et allemand)

  2. -4C Association, Annual Report 2014, 2015 (en anglais uniquement)

  3. -Specialty Coffee Association of America (SCAA), Sustainable Coffee Certifications A Comparison Matrix, 2009 (en anglais uniquement)

  4. -Site web de la World Cocoa Foundation

  5. -Site web de la Sugar Association (en anglais uniquement)

  6. -Site web de la Rainforest Alliance

  7. -Site web de Fair Trade International

  8. -Site web de Artisans du Monde



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Aux États-Unis, le secteur agricole et alimentaire industriel a dépensé des centaines de millions de dollars pour influencer les médias, les consommateurs et les politiques publiques. Qu’en est-il en Europe ? 2015

  2. -Ces grandes compagnies qui veulent notre bien... : l’amont, 2014

  3. -L’incroyable capacité de récupération des multinationales, 2013

  4. -Les principaux acteurs des politiques agricoles et alimentaires et leurs motivations, 2013

  5. -Le système agricole et alimentaire international à la recherche d’une bonne image, 2013

 

Dernière actualisation:    août 2015

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