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22 juin 2021


Bill Gates : philanthropie ou affairisme ?


Si vous demandez aux gens ce qu’ils pensent de Bill Gates, beaucoup vous répondront qu’il est le plus grand philanthrope de tous les temps et un visionnaire. Certains pourraient même aller au point d’ajouter que c’est un saint. Ils mentionneront « les milliards donnés par Gates pour améliorer notre santé et combattre la faim et la pauvreté en Afrique ». Ils vont dire qu’ils ont entendu qu’il était « le seul à avoir prévu la pandémie de la COVID-19 ». D’autres souhaiteront peut-être qu’il prenne des responsabilités politiques, en tant que secrétaire général des Nations Unies ou président des États-Unis !


D’autres enfin, plus critiques et agacés par l’omniprésence de Gates dans les médias, pourraient énumérer des côtés obscurs du héros.


Une réputation flétrie


Aujourd’hui, la réputation d’un vieux sage désintéressé et sans reproche, que Gates avait réussi à se forger, est flétrie. Petit à petit, les preuves qui s’accumulent dévoilent la face sombre d’un homme qui, servant ses intérêts, est en train de « mener le système alimentaire mondial dans la mauvaise direction », comme le dit le dernier article publié par GRAIN [lire en anglais], après s’être concentré avec zèle sur la domination de l’univers de la santé [lire en anglais] et avoir soutenu les multinationales pharmaceutiques dans leur lutte pour préserver leurs brevets sur les vaccins contre la COVID-19. De plus en plus d’éléments sont avancés pour étayer la thèse que, derrière celui qui a créé la plus grande fondation de l’histoire, se cache un habile homme d’affaires. Depuis peu, comme une cerise sur le gâteau empoisonné, on note une série d’allégations généralement anonymes mettant en cause l’ancien dirigeant de Microsoft dans le cadre du mouvement MeeToo [lire en anglais].



Source: GRAIN, 2021 (traduction lafaimexpliquee.org)


L’article de GRAIN fait suite à une publication de 2014 qui analysait comment la Fondation Gates utilisait ses ressources et à laquelle lafaimexpliquee.org avait fait référence [lire]. À l’époque, la Fondation était apparue comme l’un des principaux donateurs dans le domaine agricole, dépensant environ 500 millions de dollars par an, surtout pour influencer les politiques (surtout les politiques sur les semences) et louer l’agriculture industrielle avec les grandes compagnies multinationales agrochimiques telles que Monsanto.


Sept ans plus tard, après la publication par diverses sources de rapports sur les mauvais résultats de l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA) soutenue par Gates [lire] et sur le rôle de la Fondation dans la promotion des OGM en Afrique ainsi que d’autres technologies controversées comme le bœuf, le fromage et le poulet synthétiques pour lesquelles la compagnie financée par Gates, « Impossible Foods », détient plusieurs brevets [lire en anglais], GRAIN décida de voir si « la Fondation Gates avait été réceptive aux critiques de ses subventions agricoles et alimentaires » formulées en 2014.


Combattre la faim au Sud en donnant de l’argent au Nord


Les conclusions montrent que la Fondation n’a guère changé et qu’elle a accordé « un total de 1130 subventions dans le domaine agricole et alimentaire, pour un montant de presque 6 milliards de dollars, dont presque 5 milliards sont censés servir l’Afrique ». Pour pouvoir financer tout cela, « le fonds fiduciaire de la Fondation, qui gère les capitaux de la Fondation, a procédé à de lourds investissements dans des compagnies de l’agroalimentaire, a acheté des terres et détient des actions dans beaucoup de compagnies financières à travers le monde ». En fait, aujourd’hui, Gates est le plus grand propriétaire terrien des États-Unis [lire].


Comme en 2014, GRAIN a trouvé que les principaux bénéficiaires de la Fondation Gates étaient des organisations basées en Amérique du Nord (30 % des subventions) et en Europe (14 %), mais qui ont des activités mises en œuvre majoritairement en Afrique, selon la Fondation. Le diagramme, ci-dessous, montre que le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI - voir le site en anglais), AGRA et la African Agricultural Technology Foundation (AATF - Fondation africaine pour la technologie agricole), ainsi que plusieurs organisations internationales, étaient parmi les récipiendaires d’aide les plus importants, ce qui illustre une stratégie limpide visant à influencer la réflexion sur le développement agricole et la recherche agronomique, tout en faisant la promotion d’une agriculture « moderne », fondée sur l’utilisation de produits de l’agrochimie et des OGMs [lire].



Source: GRAIN, 2021 (traduction lafaimexpliquee.org)

télécharger diagramme: SubventionsGates.jpg


L’analyse détaillée menée par GRAIN montre que presque la moitié des ressources vont vers des universités et des centres de recherches en Amérique du Nord et en Europe, ce qui s’inscrit dans la longue tradition états-unienne de l’utilisation des fonds d’aide pour financer le monde académique.


En 2020, la Fondation a créé son propre centre de recherche nommé « Gates Ag One », installé à Saint Louis, dans le Missouri, non loin du siège de Monsanto, en vue d’accélérer le développement de nouvelles semences et des produits chimiques et de les acheminer plus rapidement vers les paysans d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud [lire].


La réalité dépeinte par GRAIN et les chiffres analysés montrent que la Fondation est loin de « combattre la pauvreté, la maladie et les inégalités dans le monde » comme l’annonce le slogan se trouvant en première page de son site web.


Et GRAIN de commenter : « En contraste, Oxfam dépense plus de la moitié de ses fonds directement en Afrique, et plus d’un tiers en Asie et en Amérique Latine, dont une grande partie par l’intermédiaire d’ONG locales ».


La Fondation : un moyen pour influencer et faire des affaires


Bill Gates a utilisé les milliards investis par la Fondation pour accroître son influence politique. D’aucuns se souviendront de son apparition, lors de la COP21 à Paris, en 2016, en compagnie de Chefs d’État et, plus récemment, de sa participation au « Sommet des leaders sur le climat » organisé par Joe Biden. La Fondation collabore aussi étroitement avec le Forum économique mondial (Davos) et ses membres actifs dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture tels que les multinationales Bayer et Corteva (pesticides et semences), et Yara (engrais), pour promouvoir les intérêts des entreprises. Avec la désignation du Forum comme co-organisateur, avec les Nations Unies, du Sommet sur les systèmes alimentaires [lire] et la nomination de la présidente d’AGRA en tant qu’envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, il est clair que Gates dispose d’une excellente opportunité pour influencer la prise de décisions importantes pour l’orientation future du système alimentaire mondial.


Au niveau des pays, la Fondation et AGRA utilisent leurs ressources pour provoquer des choix de politique permettant la création d’un environnement plus favorable aux entreprises et rendant plus aisé l’accès des paysans aux semences et aux produits agrochimiques du marché, notamment par l’homologation de nouvelles variétés, y compris des OGM. Ils financent aussi des partenaires chargés de faire la promotion des biotechnologies, comme c’est le cas pour l’université du Michigan (Michigan State University).


En outre, cela ne surprendra personne, dans la mesure où Microsoft est une partie prenante très active du Big data, par sa plateforme FarmBeats [lire en anglais], AGRA et la Fondation œuvrent également en faveur de l’agriculture numérique en Afrique [lire en anglais].


Il n’est pas compliqué de rassembler les pièces du puzzle et découvrir à quoi ressemble l’image. Elle est claire et très simple. L’agriculture et l’alimentation est en train de devenir un domaine crucial pour l’avenir. C’est un secteur de plus en plus stratégique, car la nourriture n’est pas un produit comme les autres. Elle se trouve à la base de la vie. Au fur et à mesure que le climat change, les ressources naturelles se dégradent et la biodiversité diminue, l’alimentation s’avérera un encore plus essentielle et, pour cela, elle sera un secteur qui offrira d’énormes opportunités pour les affaires. En acquérant des terres, en investissant dans la technologie (aliments de synthèse, Big data), et en influençant les politiques pour faciliter la pénétration des grandes entreprises dans ce secteur où il a des intérêts, Gates entend étendre son empire.


Derrière le philanthrope, il est et reste avant tout un homme d’affaires.



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Pour en savoir davantage :


  1. GRAIN, How the Gates Foundation is driving the food system, in the wrong direction, 2021 (en anglais).

  2. GRAIN, Barbarians at the barn: private equity sinks its teeth into agriculture, 2020 (en anglais).

  3. GRAIN, How does the Gates Foundation spend its money to feed the world? 2014 (en anglais).



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Opinions : Un autre faux départ en Afrique, vendu grâce aux mythes de la Révolution verte, par T. A. Wise et  J. K. Sundaram, 2021.

  2. Systèmes alimentaires durables : 2021 pourrait être une année charnière pour l’alimentation… ou pas, 2020.

  3. Qu’est-ce qui se cache sous la « générosité » de Bill Gates ? 2019.

  4. La privatisation de l’aide au développement : intégrer davantage l’agriculture au marché mondial, 2018 (voir en particulier p. 12, en version pdf).

  5. Dans la tradition des grandes fondations privées : le gâchis de la Fondation Gates, 2014.

  6. La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition : un coup pour les capitaux internationaux ? par N. McKeon, 2014.

  7. Révolution verte en Afrique: plus de semences améliorées pour le continent, 2014.

 

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Dernière actualisation :    juin 2021