Nouvelles

 

8 juin 2013



L’offensive du «capitalisme éclairé» se poursuit en Afrique


Aujourd’hui se tient à Londres la réunion internationale intitulée «Nutrition pour la croissance: battre la faim par les affaires et la science» (Nutrition for Growth: Beating Hunger through Business and Science). Cette réunion de haut-niveau est organisée conjointement par le Département pour le développement international du gouvernement britannique (DFID), le gouvernement brésilien et la Children’s Investment Fund Foundation. La Children’s Investment Fund Foundation est une fondation philanthropique lancée par le financier Chris Hohn qui finance des activités dans le domaine de la nutrition et la santé en Afrique (Ethiopie, Kenya, Nigeria et Zimbabwe).




Cette réunion fait suite au Sommet Royaume Uni-Brésil organisée le 12 août 2012 avec pour objectif de discuter de la coopération améliorée entre les grandes compagnies multinationales et les Etats en vue de résoudre le problème de la malnutrition. Elle avait notamment été l’occasion d’annoncer un programme visant à soutenir la rechercher agronomique publique internationale (CGIAR) dans ses efforts pour développer des variétés résistantes à la sécheresse et enrichies en vitamines, à coopérer avec les multinationales (Unilever, Syngenta et GSK) pour mettre à la disposition des familles pauvres des aliments nutritifs et peu chers, et cherchant à coopérer avec certains états (Irlande et Suisse) en vue d’une plus grande responsabilisation des gouvernements des pays du Sud. Rappelons ici que le Royaume Uni détient cette année la présidence du G8.


L’objectif de la réunion est de rassembler des leaders du monde des affaires, des scientifiques, des représentants de gouvernements et des organisations de la société civile pour s’engager politiquement et financièrement afin d’atteindre des millions de femmes allaitantes et des nourrissons en leur fournissant une bonne alimentation nutritive pour contribuer à la réduction de la sous nutrition. La documentation disponible sur cette réunion en dit cependant peu sur comment il est envisagé de s’attaquer au problème de la sous nutrition.


De ce que l’on peut déduire de la nature des participants et du programme discuté en août dernier, il apparait que cette réunion est en droite ligne d’un certain nombre d’initiatives qui :


  1. Considèrent les personnes sous-alimentées avant tout comme une clientèle potentielle pour les grandes compagnies agroindustrielles. Il s’agit en effet plutôt de favoriser le développement par les multinationales de produits adaptés à une clientèle de consommateurs pauvres (pas chers, enrichis en additifs divers) plutôt que de leur donner les moyens d’améliorer leur capacité de se procurer de la nourriture (fraiche) de qualité soit en améliorant leur production agricole soit en augmentant leurs revenus. On cherche donc à élargir la clientèle des grands groupes plutôt que les revenus des pauvres ou le développement de circuits alimentaires courts

  2. Voient la résolution de la question alimentaire principalement dans le développement de la production agricole sur de vastes exploitations quasi industrielles vendant aux grandes entreprises agroalimentaires ou de distribution.


Cette vision de l’avenir laisse peu de place aux petits agriculteurs, à leurs familles, à leur exploitations qui cependant détiennent un fort potentiel pour produire de l’alimentation de qualité en générant les revenus indispensables pour réduire durablement la pauvreté et la faim là où elles sont les plus répandues, à savoir dans les zones rurales.


Cette même vision est omniprésente dans la pensée dominante actuelle sur le développement agricole mondial et la lutte contre la faim. On la retrouve ainsi dans la vision de la Banque mondiale pour l’Afrique [lire Le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’Afrique: à la conquête de la dernière frontière pour les marchés agricoles et alimentaires...], l’approche de «blending» adoptée par l’Union européenne pour remplacer progressivement l’aide publique au développement par les partenariats avec des grandes entreprises et des organismes financiers [lire Le «Blending»: formule magique pour mobiliser plus de ressources pour le développement ou subvention à l’endettement?], mais aussi la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (New Alliance for Food Security and Nutrition) lancée par le G8 lors de son sommet à Camp David il y a tout juste un an. L’intérêt récent de la FAO pour les circuits courts et son accord avec le mouvement Slow Food semble à contre-courant de cette tendance dominante qui exclus très largement la masses des producteurs agricoles des solutions envisagées.


Il est sans doute utile de rappeler ici les principales caractéristiques de cette Nouvelle alliance. Présentée comme un complément privé à l’initiative de l’Aquila qui a eu des résultats très mitigés, l’Alliance a pour ambition de sortir 50 millions d’africains de la pauvreté en 10 ans par des réformes de politiques et des investissements privés substantiels, tout en exigeant que les actions entreprises soient «pleinement appropriées par les Etats». Jusqu’à présent, d’après l’USAID, 45 compagnies multinationales et africaines auraient déjà promis d’investir quelques 3 milliards de dollars. Les investissements majeurs seraient faits par Syngenta (500 millions de dollars), Yara (1,5 milliards de dollars), MIMRAN, AGCO, la Fondation mondiale pour le Cacao, Monsanto et Mars, pour en citer les principales. Un certain nombre d’investissements plus modestes sont aussi prévus par des compagnies privées africaines (voir une note récente de ONE - en anglais), mais les réalisations jusqu’à ce jour restent plus modestes, d’après le Département d’Etat, avec quelques dizaines de millions de dollars seulement effectivement utilisés principalement pour des actions de formation et d’amélioration de l’accès au marché.




Toujours selon de Département d’Etat, six pays africains ont mis en oeuvre des programmes de réformes de leurs politiques (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Mozambique et Tanzanie).


Dans un papier publié en avril 2013 sur le site du German Marshall Fund of the United States, J.M. White annonce que l’Alliance testera «les limites du capitalisme éclairé» (the limits of enlightened capitalism) mais souligne les risques de marginalisation des communautés et des producteurs locaux qui sont inhérents à l’approche proposée. Cette marginalisation apparait clairement quand on lit la récente étude faite par B. Cooksey sur le nouveau programme agricole de la Tanzanie (Who owns the CAADP process in Tanzania?). L’auteur y souligne que les producteurs et leurs organisations sont quasi absentes du débat de politique agricole qui oppose dans ce pays les tenants d’une approche «étatique favorable aux petits producteurs» et ceux qui sont pour la promotion de «grands investissements agricoles privés» dans un cadre libéralisé, et où les agences d’aide et les fondations philanthropiques jouent un rôle ambigu en s’appuyant sur les ressources parfois importantes à leur disposition et les liens qu’ils ont tissés avec les multinationales agroalimentaires.


Ces quelques faits démontrent, s’il était nécessaire, l’ampleur de l’offensive internationale sur les ressources agricoles africaines qui se cache derrière des discours bien pensant et l’urgente nécessité de l’organisation des petits producteurs agricoles africains en des groupements qui aient un réel pouvoir politique et économique. Cette offensive du «capitalisme éclairé» demandera prochainement une analyse sur lafaimexpliquee.org qui ira bien au-delà de ce qui peut être fait dans le cadre de ces nouvelles.


Lire aussi:


  1. -Cadre de coopération du G8 à l’appui de la « Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition » au Burkina Faso

  2. -Le G8 et sa Nouvelle Alliance: une menace pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique ?

  3. -La campagne IF au Royaume Uni (nos nouvelles du 6 février 2013)

 

Dernière actualisation:    juin 2013

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com