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6 février 2017



La “Nouvelle vision pour l’agriculture” du Forum de Davos est en marche…



En 2009, le Forum économique mondial, qui réunit en chaque début d’année les leaders économiques du monde à Davos, en Suisse, avait lancé sa « Nouvelle vision pour l’agriculture » (NVA) qui voulait transformer l’agriculture mondiale pour en faire une agriculture de marché, en aidant les pays à effectuer des réformes de politiques requises pour favoriser l’investissement privé et le commerce.




Où en sommes-nous, huit ans après le lancement de cette initiative, et comment cette « Nouvelle vision » se traduit-elle dans la réalité ?


Depuis 2009, avec l’appui de certains des principaux pays riches et la participation active des grandes entreprises multinationales basées dans les pays du « Nord », des programmes ont été lancés en Afrique (GROW Africa, financé en partie par les États-Unis, le Royaume Uni et la Suisse, actif dans une dizaine de pays et fortement lié à la Nouvelle alliance pour l’agriculture et la sécurité alimentaire, la Banque africaine de développement, le NEPAD et l’Union Africaine), en Asie (GROW Asia, financé en partie par l’Australie et le Canada, actif dans cinq pays), en Inde (NVA India, actif dans trois États indiens) et en Amérique Latine (NVA Latin America, actif dans quatre pays).


Dans toutes ces initiatives on trouve une forte participation des grandes multinationales opérant dans le secteur agroalimentaire, notamment Bayer, Bunge, Cocacola, Cargill, Dow, DuPont, Heineken, Louis Dreyfus, Monsanto, Nestlé, PepsiCo, Syngenta, Unilever, Walmart, Yara international. On y trouve aussi la Société financière internationale (organisme associé à la Banque mondiale chargé du financement du secteur privé), Rabobank et SwissRe, quelques ONG internationales telles que Rainforest, Save the children, World Vision, ainsi qu’une multitude d’entreprises privées et d’ONG nationales.


D’après le site de NVA, l’initiative regroupe en tout presque 600 organisations dans le monde. Elle a mobilisé 10,5 milliards de dollars d’investissements dont 2,5 milliards ont déjà été mis en oeuvre, ce qui reste relativement modeste au regard du total des investissements mondiaux dans le secteur.


L’ONG GRAIN, nous donne des exemples de réalisations concrètes de NVA dans un document intitulé « Cultiver le désastre : le programme Grow permet aux multinationales de développer leur mainmise sur l’agriculture », publié en janvier 2017.


Que pouvons-nous retirer de ce travail ?


  1. Que derrière la phraséologie politiquement correcte qui annonce des projets en faveur des petits producteurs familiaux, loin de proposer une nouvelle vision de l’agriculture dans sa globalité, les activités des programmes lancés dans le cadre de la NVA se concentrent « sur un petit nombre de produits de base à forte valeur, [et] révèle son objectif réel : accroître la production d'un tout petit nombre de produits au profit d'un tout petit nombre de sociétés ».

  2. Que les projets lancés consistent essentiellement à mettre en place quelques chaînes d’approvisionnement très spécifiques, à forte valeur ajoutée, reposant sur l’agriculture contractuelle et associant la fraction la plus « dynamique » des agriculteurs locaux à une grande multinationale agroalimentaire  (par exemple : chips de pommes de terre avec PepsiCo, maïs avec Monsanto et Syngenta et thé avec Unilever, au Vietnam ; café avec Nestlé, Syngenta et Yara, chips de pommes de terre avec PepsiCo et maïs avec Cargill et Monsanto, en Indonésie ; orge avec Diageo en Ethiopie ; horticulture high-tech au Mexique.)

  3. Que certains projets se sont traduits par la perte de contrôle de leurs terres par certaines communautés rurales dont les autorités traditionnelles auraient été corrompues et des promesses faites par les partenaires qui n’ont pas encore été concrétisées à ce jour (exemples: 10.000 ha pour Pôle agricole irrigué à Babator dans le Nord Ghana avec AgDevCo ; entre 100.000 et 200.000 ha pour la production de riz au Nord de la Côte d’Ivoire avec Louis Dreyfus Commodities)

  4. Que toutes ces initiatives se sont accompagnées d’intenses activités de lobbying tels que la création de groupes de travail (par exemple sur l’horticulture au Rwanda ou sur l’amélioration de l’environnement économique au Mozambique), des discussions directes au niveau ministériel, des séminaires et bien d’autres activités encore visant à réformr les politiques et la réglementation pour les rendre plus favorables aux investisseurs, sur le modèle que nous avons déjà eu l’occasion de décrire en Afrique [lire ici].

    1. Que, alors que traditionnellement un partenariat public-privé (PPP) consistait à faire administrer certaines infrastructures ou certains services de nature publique par des entreprises privées (voir encadré), la nouvelle forme de partenariat utilisée dans le cadre de l’initiative NVA consiste essentiellement en un financement public d’entreprises privées qui, tout en assurant certaines fonctions de nature traditionnellement publique, comme par exemple la vulgarisation ou la gestion de périmètres irrigués, mènent des activités de nature typiquement privée ayant pour but principal la recherche du profit (commerce, transformation agroalimentaire, approvisionnement en semences, en engrais et en équipements agricoles). Il s’agit donc fondamentalement d’une subvention publique accordée à l’implantation de multinationales de pays riches dans un pays pauvre, telles que celles qui se sont développées dans le cadre de programmes tels que le blending de l’Union Européenne ou le Global Development Lab mis en oeuvre par les États-Unis, une pratique qui existe depuis longtemps [lire encadré p.7] mais qui à présent est mise au centre de la politique des pays riches et des institutions internationales qu’ils contrôlent.




Télecharger fichier: PPP pour contre.pdf


Bref, s’est mis en marche, progressivement, un mouvement de fond visant en effet, comme le dit le titre de l’article de GRAIN, à faire des grandes multinationales de l’agroalimentaire les maîtres du jeu, financé en partie par les impôts des contribuables des pays riches, au détriment de centaines de millions de petits paysans qui se retrouvent soit marginalisés, soit exploités, et cela en dépit des objectifs proclamés par NVA de réduction de la pauvreté et de la faim, et de l’amélioration de la sécurité alimentaire.


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Pour en savoir davantage :


  1. -GRAIN,  Cultiver le désastre : le programme Grow permet aux multinationales de développer leur mainmise sur l’agriculture, 2017

  2. -Forum économique mondial, Nouvelle vision pour l’agriculture, site web (en anglais)

  3. -Forum économique mondial, Grow Africa, non daté (en anglais)

  4. -Forum économique mondial, Grow Asia, non daté (en anglais)

  5. -Forum économique mondial, NVA India, non daté (en anglais)

  6. -Forum économique mondial, NVA Latin America, non daté (en anglais)



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -La nouvelle stratégie agricole de la Banque africaine de développement : pour une agriculture pseudo-moderne non durable, d’exclusion, au bénéfice d’une minorité, 2016

  2. -L’Union européenne enquête sur la Nouvelle alliance sur la sécurité alimentaire et la nutrition du G8, 2016

  3. -Sortir les populations de la pauvreté en les reliant au marché mondial: le Laboratoire global de développement de l’USAID, 2014

  4. -Le «Blending»: formule magique pour mobiliser plus de ressources pour le développement ou subvention à l’endettement ? 2013


ainsi que d’autres articles sous notre rubrique Investissements.

 

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Dernière actualisation:    février 2017