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Repenser l’alimentation et l’agriculture – Nouvelles pistes

Édité par Amir Kassam et Laila Kassam


Une revue du site web qui sous-tend le nouveau livre*


par Andrew MacMillan**



À première vue, un des accomplissements majeurs depuis la Seconde Guerre mondiale a été de produire suffisamment de nourriture pour alimenter la population mondiale, même dans une période de croissance démographique sans précédent.


Mais comme ce livre et son admirable site web l’expliquent, c’est là une vaine victoire. Il est désormais suffisamment clair que les manières dont la plus grande partie de la nourriture est produite et consommée sont en train de détruire les ressources limitées de la planète, tout en desservant la santé humaine.




La croissance rapide de la production alimentaire a provoqué des dégâts considérables à la nature - en particulier à la couverture forestière, la qualité du sol et de l’eau, la diversité biologique et l’environnement, tandis que l’agriculture devenait un des principaux responsables du processus de dérèglement du climat tout en en étant la victime.


Il se peut qu’il y ait une nourriture abondante dans le monde, mais plus de la moitié d’entre nous souffre et pourrait mourir prématurément de la faim et d’autres formes de malnutrition, alors que d’autres contractent des maladies chroniques et affrontent une mort précoce parce qu’ils surconsomment des produits alimentaires. Beaucoup de nourriture disponible est gaspillée : une partie finit sous la forme d’agrocarburants.


Les personnes qui travaillent dans la production, la transformation et la distribution des denrées alimentaires ont tendance à être mal payées et sont souvent exploitées. La demande croissante pour la viande, au-delà du fait qu’elle exige l’abattage sur une grande échelle de nos cousins animaux (domestiques ou sauvages), occasionne une sérieuse détérioration des ressources naturelles, surtout les forêts primaires tropicales, qui sont défrichées pour laisser la place à des pâturages ou des cultures destinées à l’alimentation du bétail.


Amir et Laila Kassam ont rassemblé un remarquable groupe de 24 auteurs qui ont rédigé 20 chapitres dont chacun est résumé et illustré par un extrait sur le site web. Cela permet à un lecteur pressé d’avoir un « avant-goût » des principaux arguments avancés dans le livre, avant de se plonger dans plus de détail. Tous les auteurs, quand bien même ils ont travaillé séparément, ont en commun de vives préoccupations par rapport aux maux multiples causés par nos systèmes de production et de consommation alimentaires dominants et par leur non-durabilité. Ils adhéreraient tous à la thèse du livre affirmant que « Notre conception de l’agriculture est en train de détruire le monde sous nos yeux ».


En effet, il nous a fallu bien trop longtemps pour nous réveiller et réaliser que la combinaison de la diffusion de méthodes agricoles intensives s’appuyant sur un « dogmatisme scientifique », et de la « prise de contrôle de l’agriculture commerciale par des intérêts financiers coupés du système alimentaire » continue d’être « la cause la plus grave des dégâts infligés au réseau complexe de formes de vie desquelles nous dépendons »


La plupart des auteurs reconnaissent le besoin de rompre de manière décisive avec les alliances qui ont émergé entre la “science”, le pouvoir des grandes sociétés et de nombreux gouvernements, en vue de fixer l’ordre du jour prioritaire en matière de développement agricole et de modèles de consommation alimentaire qui reposent sur l’idée absolument fausse que c’est la seule façon d’assurer une fourniture suffisante de nourriture dans l’avenir.


Beaucoup parmi les auteurs, qui comprennent des partisans de longue date du changement - tels que Hans Herren, David R. Montgomery, Patrick Mulvany, Vandana Shiva and Colin Tudge - font référence à des précédents encourageants en matière de changements de paradigme nécessaires dans leur domaine de spécialisation et ils donnent des raisons d’être optimistes. Ils soulignent en particulier les résultats positifs déjà obtenus à l’aide des approches agroécologiques pour rendre l’agriculture plus durable et dirigée par les agriculteurs plutôt que par les scientifiques. Ils illustrent également la dynamique en cours favorisant des habitudes alimentaires qui éliminent ou réduisent de manière considérable la consommation de viande tout en améliorant la santé humaine.


Les systèmes alimentaires sont excessivement complexes parce qu’ils concernent tant d’acteurs différents, dont les revenus et les intérêts particuliers peuvent être touchés d’une manière ou d’une autre par des réorientations de politiques et de stratégies. Par conséquent, même si les problèmes sont reconnus, il y a une perception répandue que le changement ne peut se faire que lentement, ce qui fait que les propositions d’ajustements radicaux sont accueillies avec scepticisme.


Ce livre et ce site web ne souffrent pas de telles inhibitions. Les éditeurs préconisent que les agriculteurs évoluent rapidement vers des systèmes de production durables centrés sur l’abandon de toutes les formes de labour de retournement en liant cela avec l’application des principes de l’agriculture biologique. Simultanément, ils affirment, pour des raisons de santé et d’éthique, que les consommateurs devraient réduire radicalement leur consommation de viande et d’autres produits animaux, avec en vue l’objectif d’adopter un régime végane.


Bien qu’étant convaincu que ces deux directions de changement, si elles étaient largement mises en œuvre, feraient face à la plupart des problèmes que doivent affronter à l’heure actuelle les systèmes de production et de consommation alimentaires, je dois avouer que ma première réaction fut de les considérer hors de portée. J’envisageai la nécessité d’adopter un processus de négociations qui aurait rassemblé toutes les parties prenantes en vue d’arriver à un consensus sur la piste à suivre, mais l’histoire montre que cela aurait été bien intentionné, mais probablement futile. 


Je fus alors frappé par le fait que les deux directions proposées étaient tellement conformes à l’intérêt commun des producteurs de nourriture et des consommateurs que, même si les scientifiques et les entreprises ne les aimaient pas, ils sauraient, ensemble comme le suggèrent les éditeurs, d’eux-mêmes, créer une dynamique propre irrésistible.


Bien que cela soit largement passé inaperçu, il y a déjà eu, partout dans le monde, un mouvement de masse vers des systèmes agroécologiques. La superficie cultivée sous agriculture biologique s’est accrue de plus de 500 % pendant les 20 dernières années : ce mouvement a concerné 2,9 millions de producteurs, et la demande des consommateurs pour de la nourriture biologique est en augmentation très rapide. De la même façon, l’agriculture de conservation a balayé le labour traditionnel et la surface touchée a décuplé au cours des 25 dernières années, pour atteindre plus de 200 millions d’hectares aujourd’hui : le rythme de changement est tel que 60 % des terres cultivées en Amérique du Sud sont déjà concernées et tout semble indiquer que l’agriculture de conservation continuera à se diffuser à une allure comparable. Ces évolutions n’ont pas été guidées par les gouvernements ou les instituts de recherche, mais par les producteurs - petits ou grands - qui investissent dans de nouvelles technologies et encouragent les autres à en faire de même parce qu’ils sont convaincus par leurs nombreux avantages.


Finalement, néanmoins, l’essentiel de ce que les paysans fournissent est fonction de ce que les consommateurs décident d’acheter. Tandis que les prix sont appelés à rester un facteur majeur influençant la demande alimentaire, les choix des consommateurs sont chaque jour davantage déterminés par leur connaissance des impacts environnementaux négatifs de certains systèmes de production alimentaire (destruction de la forêt pour produire de l’huile de palme ou pour laisser place à des pâturages), la prévalence de conditions de travail dures dans les chaînes d’approvisionnement (commerce équitable, droits humains, travail des enfants), les conséquences nocives sur la nutrition et la santé (pesticides et résidus hormonaux, excès de glucides, notamment de sucre, et de matières grasses, surconsommation de viande rouge) et leur souci du bien être animal. Il y a une considération croissante pour le concept moral de parenté entre les humains et les animaux, d’où une évolution vers des régimes véganes qui se mesure au nombre de personnes - plus de 500 000 cette année - ayant décidé de célébrer le « Veganuary ».


Si les gouvernements, qui y ont adhéré, les prennent au sérieux, les Objectifs de Développement Durable offrent un cadre admirable pour entreprendre des politiques qui accéléreraient grandement ces processus largement spontanés menant vers une transformation souhaitable.


Les éditeurs concluent en rassemblant toutes ces pistes, avec d’autres, suggérées par le livre, dans le cadre de la « responsabilité inclusive ». Ce cadre résume les changements de paradigmes qui sont requis pour un système alimentaire et agricole juste et durable. Ils proposent une Agroécologie végane fondée sur l’agriculture de conservation comme exemple d’un paradigme alimentaire et agricole alternatif, inclusif et responsable. 


De même que la Communauté de pratique dédiée à l’agriculture de conservation, animée par Amir Kassam, a fait beaucoup pour promouvoir l’agriculture de conservation dans le monde en partageant les connaissances et l’information entre praticiens et institutions qui la soutiennent, peut-être que le « inclusive responsibility » website (en anglais), le site web sur « la responsabilité inclusive » qui sous-tend ce livre, pourrait servir de fondation sur laquelle construire l’émergence d’un vaste mouvement d’encouragement des processus permettant une évolution accélérée vers un système alimentaire mondial véritablement durable.



(Scansano, Italy, 14 février 2021.)


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  1. *  Publié par Elsevier, 2020 (en anglais).

** Andrew MacMillan est économiste agricole spécialisé en agriculture tropicale, ancien Directeur de la Division des opérations de la FAO. Il est co-auteur d’un livre intitulé « Comment en finir avec la faim en temps de crises - Commençons dès maintenant », publié chez L’Harmattan, Paris 2014.




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Pour en savoir davantage :


  1. Amir Kassam Laila Kassam (éd.) Rethinking Food and Agriculture - New Ways Forward, Elsevier, 2020 (en anglais).



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Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Quel avenir pour notre alimentation ? Trois scénarios brossent le tableau de futurs bien différents, 2018.

  2. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  3. Quels sont les défis à relever pour assurer un futur durable à notre alimentation ? 2017.

  4. Opinion : Le moment n’est-il pas venu de repenser la gestion de notre alimentation ? par Andrew MacMillan, 2014.

 

Dernière actualisation: février 2021

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