Les acteurs des politiques agricoles et alimentaires

 
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Les principaux acteurs

des politiques agricoles et alimentaires

et leurs motivations



Les politiques agricoles et alimentaires donnent des orientations aux systèmes alimentaires mondial, régional et national. Elles sont le résultat de l’interaction entre un ensemble d’acteurs qui cherchent chacun à défendre leurs intérêts ou ceux de leurs alliés. Le degré d’influence de chacun des acteurs sur les politiques résultantes dépend de leur capacité propre ainsi que du cadre de « production » des politiques, c’est-à-dire des institutions nationales, régionales et mondiales.


Cette note passe en revue les principales catégories d’acteurs en analysant leurs principales caractéristiques et motivations. 



Les États


On a souvent eu tendance à considérer les États comme des blocs monolithiques défendant l’intérêt collectif. Il est important d’en finir avec cette notion idéalisée « d’Etat bienveillant » qui date de la première partie du siècle dernier et qui considérait que l’État cherchait à faire le bien pour tous, pour la remplacer par une vision plus diversifiée d’un Etat constitué d’une multitude d’organisations dirigées par des individus ayant leurs objectifs et intérêts propres souvent contradictoires.


Si l’on considère les dirigeants de l’État, leur intérêt personnel est de consolider leur pouvoir en favorisant les intérêts des groupes qui les soutiennent et les maintiennent en place.


Dans les pays démocratiques, les responsables des gouvernements doivent gérer adroitement les intérêts potentiellement antagoniques des groupes de population qui les  ont élus et des compagnies qui financent leur parti politique et servent de vivier ou de refuge au personnel politique et aux haut fonctionnaires. Ils sont aussi très sensibles aux pressions des lobbies qui travaillent à promouvoir les intérêts de divers groupes qui les financent.


Dans beaucoup de pays démocratiques, le monde rural jouit d’un poids électoral plus que proportionnel à la part qu’il représente dans la population ou dans l’économie (voir encadré sur la page suivante). Les re-découpages successifs opérés à la suite des recensements démographiques effectués périodiquement n’ont souvent pas véritablement rééquilibré le découpage électoral en faveur du monde rural. Il en résulte que le monde rural a généralement été sur-représenté dans les assemblées législatives et dans leurs commissions spécialisées travaillant sur les questions agricoles. Celles-ci ont promu des politiques très favorables aux activités localisées en zone rurale, notamment l’agriculture et l’industrie agroalimentaire.


De même, les producteurs agricoles ont réussi à se donner le plus souvent une bonne image dans les pays industriels et l’opinion publique s’est le plus souvent retrouvée de leur côté, l’agriculture apparaissant comme un secteur en perte de vitesse où les revenus sont inférieurs à ce qu’ils sont dans le reste de l’économie. Ainsi, de même qu’on a pu parler dans les pays non industrialisés de biais urbain des politiques agricoles et alimentaires, on peut aussi parler de biais rural dans certains pays développés, notamment en France et aux États-Unis.



France : le poids électoral du monde rural


Le système électoral français repose sur un mode de scrutin majoritaire à deux tours élisant les députés à raison d’un député par circonscription géographique.


Ces circonscriptions sont de tailles très inégales. Ainsi, comme le notent Balinski et Baïou dans « Le découpage électoral » (Pour la Science, no.294 : pp. 60–64, 2002), la « 2e circonscription de Lozère recense 34 374 habitants, la 2ème du Val-de-Marne 188 200 : un habitant de la 2ème circonscription de la Lozère est donc 5,5 fois mieux représenté qu’un habitant de la 2e du Val-de-Marne ! ». La taille moyenne d’une circonscription électorale en 2010 est d’environ 110 000 habitants (65 millions : 577 circonscriptions).


D’une façon plus générale, les circonscriptions rurales sont moins peuplées que les circonscriptions urbaines, et les ruraux sont donc « mieux représentés » que les urbains. Les re-découpages électoraux successifs n’ont pas vraiment résorbé ce déséquilibre bien qu’il devienne moindre au cours du temps.


Ce biais rural est encore plus fort dans le cas des élections sénatoriales, puisque « 53 % des délégués sont issus de communes de moins de 1 500 habitants alors que celles-ci ne représentent que 33 % de la population française. Les cités de plus de 100 000 habitants, elles, dépêchent au sein du collège électoral sénatorial 7 % de délégués, quand elles regroupent plus de 15 % des Français. » Le résultat de cette situation est une forte surreprésentation des professions agricoles parmi les sénateurs. Cette sur-représentation s’observe également dans le Sénat américain.


























Dans les pays où le pouvoir ne se décide pas par des élections démocratiques, la stabilité politique dépend surtout de la capacité du pouvoir en place de mobiliser les ressources financières nécessaires pour s’assurer la fidélité de l’armée et de la police, ainsi que pour satisfaire par des prix alimentaires bas la population urbaine qui seule a la capacité, par des émeutes éventuelles, de créer une situation d’instabilité politique susceptible de renverser le pouvoir en place.


Le pouvoir cherche aussi souvent à défendre les intérêts des groupes qui les soutiennent et les financent directement, comme les commerçants, les importateurs/exportateurs les industriels et les propriétaires fonciers. Cette configuration qui se présente surtout pays non industrialisés, est en général plutôt défavorable aux producteurs ruraux et explique le biais en faveur des zones urbaines des politiques observées dans beaucoup de ces pays. [lire]


Les différentes parties de l’appareil d’Etat ont elles aussi leurs intérêts propres voire divergents.


Les ministères de coordination (finance, plan, premier ministère) et le chef de l’Etat ont intérêt à maintenir la stabilité politique en gérant les revendications des uns et des autres tout en gardant les dépenses publiques à un niveau acceptable (ce niveau peut varier dans le temps, en particulier selon le calendrier électoral) et en préservant leurs relations et engagements extérieurs.


Les ministères chargés de l’agriculture et les organismes qui leur sont liés (par exemple le système de recherche agronomique, les organismes agricoles parapublics, etc.) cherchent à mobiliser le plus de ressources budgétaires et extérieures pour leurs activités, que ce soit pour des raisons immédiates de bon fonctionnement et de confort des fonctionnaires, soit pour servir de base aux ambitions politiques à moyen ou long terme de leurs dirigeants.


Les ministères et organismes en charge des programmes sociaux ont des objectifs voisins de ceux des précédents, mais dans le domaine qui les concerne.


Les parlementaires et autres personnels politiques cherchent à influencer les décisions de l’Etat et les orienter en faveur des groupes qui les soutiennent dans leur circonscription afin de  garder ou renforcer leur position politique. Il peuvent aussi être sous l’influence des lobbys qui les financent.



Les organisations intergouvernementales régionales et internationales


Ce sont là les émanations des Etats qui les composent et, en tant que tel, leurs intérêts reflètent les positions et intérêts communs de leurs membres.


En plus, elles ont leurs intérêts propres en tant qu’organisations. Ces intérêts consistent à chercher à se maintenir et si possible de croître, en trouvant le moyen de mobiliser davantage de ressources pour fonctionner et en élargissant leur domaine de compétence.


Leur orientation et leur mode d’intervention dépendront de leur type de gouvernance. L’orientation sera modérée et le mode d’intervention consensuel dans le cas des organismes fondés sur le principe du « un pays, un vote » caractéristique des Nations unies et des organisations régionales. Les compromis s’y font en général après de longues négociations sur des textes consensuels très « lisses » peu à même d’exercer une quelconque menace sur l’un quelconque de ses membres et sans être en contradiction avec les positions pourtant souvent antagoniques des membres. L’orientation sera plus tranchée et le mode d’intervention plus incisif dans le cas des organismes fondés sur le principe du pouvoir de décision proportionnel à la contribution. C’est là un mode de gouvernance caractéristique des institutions financières internationales tels que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. L’histoire montre que ces organisations ont été perçues comme défendant les intérêts des pays industrialisés qui les financent en majorité et les débats en cours sur la composition de leurs organes de direction et sur l’identité de leurs dirigeants reflète les changements de rapport de force économiques entre les pays.




Le cas particulier de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mérite que l’on se penche sur lui. L’OMC fait suite au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) créé en 1947 par un groupe de 23 pays fortement dominé par les pays industrialisés cherchant à harmoniser leur politique douanière. Au cours des années, le nombre des pays membres du GATT est monté à 125. En 1995, avec la signature de l’accord de Marrakech et la création de l’OMC, les pays signataires acceptaient le fait que cet accord les liait légalement et de façon contraignante à respecter strictement les règles de l’organisation. Très vite, les pays non membres de l’OMC ont ressenti une forte pression à se joindre à l’organisation, faute de se retrouver marginalisés dans les échanges mondiaux. Ils ont donc dû accepter de céder une part de leur souveraineté pour être membres en acceptant les jugements de l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC en cas de litige avec d’autres pays membres. Le nombre de pays membres atteint 153 à la fin 2010, la Chine ayant joint en 2001, le Vietnam en 2007 et l’Ukraine en 2008, et la Russie gardant un statut d’observateur avant de devenir membre en août 2012.


Les organisations internationales et régionales cherchent de plus en plus à avoir une bonne image auprès des populations des pays qui les financent et elles utilisent de façon croissante les média pour démontrer l’importance – et parfois le caractère dramatique – des problèmes qu’elles traitent ainsi que leur efficacité et compétence à les traiter.  


La récente réforme du Conseil pour la Sécurité alimentaire mondiale (CSA) a cherché à muscler un peu la gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire. Elle a fait suite à un constat de désorganisation et d’inefficacité des structures en place, face à la crise de 2007-2008. Le nouveau CSA est fondé sur les principes d’ouverture, de liens solides avec le terrain, et de souplesse de mise en œuvre. Il se caractérise notamment par un élargissement de la participation aux travaux du groupe consultatif du CSA à des représentants de la société civile, du secteur privé et des fondations philanthropiques afin que les points de vue de toutes les parties prenantes concernées soient entendus, et par la création d’un groupe d’experts de haut niveau afin que ses décisions et ses travaux soient fondés sur des données concrètes et les connaissances les plus récentes. Ce groupe, créé en 2010, a déjà produit une séries de rapport sur des sujets importants liés à la sécurité alimentaire, tels que la volatilité des prix, l’agriculture paysanne, les agro-carburants, le foncier, le changement climatique et la protection sociale.


Ainsi, le CSA est appelé à devenir la principale plateforme de débat et de coordination des programmes en faveur de la sécurité alimentaire. Il sera chargé de favoriser une convergence des politiques et de fournir un appui et un avis aux pays et à leurs organisations régionales sur l’élaboration, la mise en oeuvre, le suivi et l’évaluation de leurs plans d’action ainsi que sur l’application des « Directives volontaires pour le droit à l’alimentation » fondées sur les principes de la participation, de la transparence et de l’obligation de rendre compte. Le CSA est également chargé d’élaborer un Cadre stratégique mondial pour la sécurité alimentaire, dont une première version a été approuvée en octobre 2012. Reste à voir si cette réforme pourra être menée jusqu’à son terme ultime car elle risque, à un moment ou à un autre, d’empiéter sur une parcelle de souveraineté de certains pays et de remettre en causes certains intérêts puissants [lire].



La société civile


La société civile internationale


Héritière d’une longue tradition que l’on peut faire remonter aux mouvements anti-esclavagistes et pacifistes du XIXème siècle, la société civile internationale a pris une place croissante dans les processus de politiques tant au niveau global que régional et national. Il s’agit d’une nébuleuse d’organisations variées ayant des intérêts divers et qui comprend des ONG, des organisations professionnelles, des fondations et divers groupes d’intérêt et lobbies.




Certaines organisations comprennent et représentent les personnes dont elles défendent les intérêts (par exemple les producteurs agricoles pour les syndicats agricoles). D’autres parlent au nom de groupes de population qui ne peuvent pas s’exprimer. D’autres encore agissent « dans l’intérêt de l’humanité » et non des individus qui les constituent et sont motivés par des valeurs tels que la justice, la solidarité et la réciprocité. La légitimité de ces dernières est souvent remise en cause, quelle soit fondée sur la compétence technique de ses membres, leur crédibilité auprès des médias ou sur leur proximité des populations pour lesquelles elles parlent. La représentativité des ces organisations peut s’ancrer puissamment dans des processus sociaux et politiques reconnus, mais parfois aussi, elle repose sur des mécanismes de gouvernance interne opaques. Dans certains cas, ces organisations sont fortement dépendantes politiquement ou financièrement de certains Etats ou d’intérêts économiques et risquent d’être instrumentalisées pour promouvoir les intérêts de ceux qui les soutiennent. 


La société civile la plus sophistiquée existe dans des sociétés politiques les plus sophistiquées, ce qui tend à reproduire l’asymétrie Nord-Sud existant au niveau des Etats. Pour défendre « l’intérêt de l’humanité » la société civile critique souvent de façon véhémente tant l’action des Etats que le résultat du système économique en place (« le marché »). En ce sens, les ONG du Nord apparaissent souvent aux yeux de certains Etats du Sud comme leurs pires adversaires.


Considérations sur les modes d’action des parties prenantes (à partir de K. Gawande, The structure of lobbying and protection in US agriculture, World Bank Policy Research Paper 3722, 2005)


Les parties prenantes peuvent dans certains cas s’organiser en lobby pour chercher à influencer les décisions de politiques prises par les autorités d’un pays. Ces lobbys mobilisent des ressources financières soit pour monnayer l’accès aux décideurs et leur communiquer des informations en vue de mettre une question en débat ou pour le influencer avant une prise de décision - avant un débat parlementaire par exemple -, soit pour payer des services - entendez: des décisions. Ceci peut se faire sous forme de contributions financières aux campagnes électorales(*) ou aux partis politiques, soit, au pire des cas, sous forme de paiements directs aux responsables, c’est-à-dire de corruption. Les lobbys peuvent également se cantonner à la production d’information pour influencer les décisions, comme c’est le cas, par exemple, pour les lobbies «verts», et chercher à avoir accès aux médias en vue d’influencer l’électorat et les décideurs.


(*)on estime qu’environ 80 % des dépenses de campagne électorale d’un membre du Congrès américain provient des lobbys et on observe que les principaux récipiendaires de contribution des lobbies agricoles font partie du Comité agricole de la Chambre des représentants des Etats-Unis.






















Après avoir tenu des sommets parallèles aux sommets organisés par les agences des Nations Unies, la société civile internationale s’est engagée dans une alliance avec l’organisation internationale et ses agences. Très récemment cette alliance s’est traduite par une collaboration étroite avec le Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale (CSA). La récente réforme du CSA envisage que quatre membres de la société civile (deux représentants d’organisations professionnelles, un d’une organisation de jeunesse rurale et l’autre d’une ONG) prennent part aux travaux du groupe consultatif du CSA. Ces membres sont soutenus par le Mécanisme international de la société civile sur la sécurité alimentaire et la nutrition qui permet aux organisations de la société civile de définir des positions communes.



La société civile nationale


Elle est principalement constituée par des organisations de type professionnel telles les organisations de producteurs, de commerçants, d’industriels et des consommateurs. Elle comprend donc aussi les associations de ce qu’on appelle généralement le «secteur privé».


Les intérêts des producteurs agricoles varient selon qu’ils produisent pour le marché ou non, qu’ils sont vendeurs net ou acheteurs de produits alimentaires, selon les produits dans lesquels ils se sont spécialisés (céréales, protéagineux, viande, lait, fruits, légumes ou autres, produits d’exportation ou produits importés) et les technologies qu’ils utilisent (irrigation, engrais, pesticides, machines ou non). Cette diversité se retrouve au niveau des organisations qui les représentent (petits ou gros producteurs, producteurs céréaliers ou éleveurs, etc.).


D’une façon générale, les producteurs cherchent cependant à améliorer le plus possible leur niveau de vie, à limiter les risques auxquels ils doivent faire face (marchés instables, parasites et maladies, ou événements climatiques extrêmes), à obtenir des compensations en cas de crise et à bénéficier de services agricoles efficaces, accessibles et adaptés. Quand ils sont bien organisés, ils peuvent exercer une forte pression sur l’Etat par des manifestations et des opérations spectaculaires pouvant entraîner la paralysie des communications routières.


Les petits producteurs sont souvent moins bien organisés. Ils peuvent aussi avoir des intérêts non-agricole car ils cherchent souvent des opportunités d’emploi hors ferme pour compléter leur revenu, voire même des occasions pour migrer vers la ville ou l’étranger afin d’améliorer leur sort de façon durable.


Comme les producteurs agricoles, les agroindustriels et les commerçants sont un groupe très diversifié. Leur objectif principal est de chercher à maximiser ses profits. Pour cela, ils cherchent à payer les produits agricoles au prix le plus bas, ce qui les mets en conflit potentiel avec les producteurs, à limiter leurs coûts de production et à revendre leur produit au meilleur prix. Pour eux, la stabilité se décline en stabilité de la quantité et de la qualité de leur approvisionnement – ils cherchent à faire des contrats avec les producteurs, ou à se partager les zones de production avec les autres agroindustriels ou commerçants pour limiter la concurrence – et des marchés pour leurs produits. Leurs autres principales préoccupations comprennent le financement de leurs activités (investissement et fonds de roulement), la protection de la concurrence étrangère, les facilités d’accès aux marchés extérieurs, les impôts et taxes, ainsi que les normes de qualité et environnementales (dans le cas des industriels).



Les industries agroalimentaires et l’image de l’agriculture


Les groupes de pression commerciaux et industriels liés à l’agriculture (exportateurs, commerçants de gros et d’intrants agricoles, fabricants d’intrants et d’équipement agricole et industriels de l’agroalimentaire) ont également su se mobiliser de façon efficace pour défendre leurs intérêts qui sont essentiellement de faire du profit. Par exemple, en présentant l’agriculture comme le « pétrole vert » au cours des années 80 et en soulignant l’importance des exportations agroalimentaires pour la France - en omettant de préciser que sa compétitivité reposait en grande par sur les subventions européennes payées par les contribuables - l’industrie agroalimentaire a su se donner une excellente image qui n’a été ternie que par la prise en conscience des risques sanitaires causés par les produits de l’industrie agroalimentaire.
















Les consommateurs, de leur côté, se préoccupent d’une part de la disponibilité de produits alimentaires de qualité à un prix accessible et aussi stable que possible tout au long de l’année, et d’autre part de leurs niveau et sources de revenu. Ils ont tendance à se tourner vers l’Etat au cas où les prix flambent, et vers leurs employeurs éventuels (s’ils sont salariés) si leur pouvoir d’achat leur paraît diminuer.


Groupés en associations de consommateurs, ils peuvent négocier avec l’Etat ou les groupements d’industriels ou de commerçants sur la qualité et les prix des aliments. Ils peuvent également avoir recours à des manifestations plus ou moins violentes, surtout en zone urbaine, en cas de crise, pour demander à l’Etat de réagir par des changements de politique (prix, salaires, taxes, réglementation du commerce, mise en place de filets de sécurité, etc.). Ils peuvent également organiser des campagnes de boycott de certains produits ou fournisseurs.


Enfin, les consommateurs peuvent également intervenir sur le marché en poursuivant des objectifs liés à des valeurs auxquelles ils donnent de l’importance : ainsi, les consommateurs néerlandais qui ont été déterminants dans l’apparition du commerce équitable en imposant le café équitable aux grandes chaines de distribution au cours des années 1990.


Il faut noter que toutes les parties prenantes sont des consommateurs, ce qui rend parfois complexe l’analyse de l’impact net de certains événements ou certaines décisions de politiques sur les uns et les autres.



Le cas particulier des entreprises multinationales


Avec leur objectif principal de maximisation de leur profit, ces compagnies mènent des activités de production, distribution ou de recherche dans plusieurs pays à la fois. Leur développement a été favorisé par le fait que d’être à cheval sur plusieurs pays confère des avantages compétitifs considérables. Ces avantages sont en partie d’origines fiscale, financière, économique et sociale.


Grâce à l’intégration verticale des filières où elles opèrent - de la production jusqu’à la transformation voire la distribution - elles peuvent utiliser la facturation interne artificielle des produits échangés entre diverses filiales situées dans des pays à régimes fiscaux différents pour transférer leurs bénéfices vers les pays à moindre pression fiscale. Elles peuvent également bénéficier de modalités de financement avantageux au niveau international qui leur donne un avantage dans leur compétition avec des compagnies nationales. Enfin elles peuvent choisir de développer leurs activités dans les pays qui  leur offrent les conditions les plus intéressantes d’un point de vue économique et social (aides, niveau des salaires et cotisations sociales, etc.).


Les compagnies multinationales procèdent à des échanges internationaux qui échappent très largement aux règles internationales établies sous l’égide de l’OMC. Il est, à cet égard, intéressant de noter que, malgré l’importance des échanges internationaux se faisant de façon internes aux multinationales ceux-ci n’ont pu être inclus dans les discussions menées dans cadre de l’OMC du fait d’une forte opposition de certains pays industrialisés. Pourtant, l’OMC considérait qu’en 1995, un tiers du commerce international de produits était réalisé par des entreprises transnationales, et cette proportion est passée à plus de 50 % en 2000 et probablement davantage aujourd’hui. Dans ces échanges, une forte proportion est constituée par des échanges internes : ainsi, en 1997, plus de 50 % des échanges internationaux effectués par des multinationales américaines étaient internes, c’est-à-dire n’impliquant que des compagnies faisant partie de la multinationale.




Dans les pays non industrialisés, en promettant des investissements générateurs d’emplois et de valeur ajoutée, et en se plaçant en synergie avec la politique poursuivie par certains pays de favoriser la transformation des produits agricoles primaires sur place avant exportation et moyennant de probables commissions à divers intermédiaires plus ou moins proches du pouvoir en place, certaines compagnies multinationales ont su négocier des accords favorables du point de vue fiscal et du rapatriement de leurs profits.


Les multinationales se sont souvent alliées avec des gouvernements autoritaires, notamment en Amérique Latine mais aussi en Afrique ou en Asie, en utilisant ces gouvernements pour contrôler les mouvements revendicatifs de leurs employés en échange d’une certaine stabilité économique du pays et de revenus financiers substantiels  pour ses dirigeants.


Au fil des ans, le peu de progrès observés dans la réduction de la pauvreté et de la faim a été mis au compte de l’échec de l’Etat du fait de sa prétendue incapacité d’aider effectivement et efficacement ceux qui souffrent de la faim. La conséquence logique de cette analyse est de se tourner vers le secteur privé dans l’espoir qu’il pourrait résoudre ce problème. Des événements récents montrent que les multinationales sont prêtes à se saisir de cette occasion pour développer leurs activités [lire]. De plus en plus, les multinationales et leurs alliés du monde la finance voient l’agriculture comme un domaine présentant un regain d’opportunités pour faire des profits, et ils lorgnent de façon croissante vers l’Afrique et les ressources naturelles (terre, eau, forêts et ressources génétiques). Le simple poids économique, financier et politique de ces acteurs est en train de changer le paysage de l’alimentation et de l’agriculture. Leur incroyable capacité de récupération des idées nouvelles apparues au cours des 3 ou 4 dernières décennies, souvent inventées pour remettre en cause le système agroalimentaire mondial (agriculture biologique, gestion durable de l’environnement, commerce équitable), et leur habileté relative à donner d’eux une bonne image, en fait des acteurs de plus en plus puissants et capables de façonner l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation à leur profit.

Materne Maetz

(juin 2011, actualisé en octobre 2013)

 

Dernière actualisation: octobre 2013

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