Le climat change,...

l’alimentation et l’agriculture aussi

 
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Enjeux



Le climat change,... l’alimentation et l’agriculture aussi1





Je me sens très optimiste quant à l'avenir du pessimisme.

Jean Rostand, biologiste et moraliste  (1894-1977)



L’année 2021 fut importante… et décevante pour le climat.


Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié la première partie de son Sixième rapport d’évaluation qui se concentre sur l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique (The Physical Science Basis - en anglais). Il y analyse la tendance passée et construit des scénarios pour le futur qui projettent une évolution du climat plus marquée que ce qui avait été envisagé jusqu’alors, puisque les engagements pris par les États lors de la COP21, en 2015, n’ont pas été respectés.


Pire encore, la COP26 de cette année, annoncée comme « le dernier et meilleur espoir » du monde n’a pas été à la hauteur des attentes et s’est avérée une « distraction mortelle » aux yeux de certaines parties prenantes [lire].




Le présent document réactualise certaines données et considérations proposées auparavant sur lafaimexpliquee.org [lire] au sujet du dérèglement climatique vu, en particulier, du point de vue de l’agriculture et de l’alimentation.


Il commencera par examiner l’évolution du climat et ce qui pourrait se produire d’ici la fin du siècle.


Ensuite, il se concentrera sur la manière de laquelle l’alimentation et l’agriculture contribuent au changement climatique et la façon dont celui-ci l’affecte.


Enfin, il tentera de formuler des suggestions sur ce qui pourrait être fait pour éviter des désastres climatiques et alimentaires.



1. Quelques éléments sur l’évolution récente du climat mondial


Comme l’indique le graphe ci-dessous (Figure 1), la température mondiale moyenne a continué d’augmenter au cours de ces dernières années.


En fait, selon l’Organisation météorologique mondiale, 2011-2020 fut la décennie la plus chaude jamais observée, et 2020 l’une des trois années les plus chaudes jamais vues, la température moyenne globale étant supérieure de 1,2 °C à celle de la période préindustrielle (1850-1900) [lire]. Enfin, juillet 2021 a été le mois le plus chaud jamais enregistré depuis 142 ans ! [lire]


Figure 1 : Évolution de la température mondiale moyenne (moyenne annuelle) sur la période 1850-2020

(IPCC, 2021 - traduction lafaimexpiquee.org)

télécharger figure : Temperature_GIEC.png


Le rapport du GIEC note que les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses et les cyclones tropicaux sont devenus de plus en plus fréquents et intenses. L’Europe occidentale, la zone méditerranéenne, l’ensemble de l’Eurasie, l’Afrique australe et le centre et l’est de l’Amérique du Nord ont connu des pluies plus abondantes.


La Figure 2 montre que les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont continuellement augmenté depuis 1990. Comme l’illustre l’exemple des États-Unis, les émissions par les pays riches, qui sont de loin les pays responsables de la majeure partie des GES d’origine anthropique produits depuis le début de l’ère industrielle, ont été relativement stables. Par contre, les pays émergents, bien représentés par la Chine, ont vu leurs émissions croître régulièrement. En 2018, les trois pays les plus émetteurs de GES ont été, par ordre d’importance, la Chine (1,4 milliard d’habitants) avec presque 25 % du total mondial, les États-Unis (0,350 milliard d’habitants) avec 12 %, et l’Inde (1,350 milliard d’habitants) avec 7 %. Les pays riches sont responsables d’environ 30 % des GES, les pays pauvres, de 5 %, et les pays intermédiaires, de 65 %.


Les émissions de GES par personne ont été presque le double aux États-Unis (plus de 18 tonnes/personne/an) qu’en Chine (presque 9 tonnes/personne/an) en 2018. Ces chiffres peuvent cependant paraître trompeurs, dans la mesure où une grande partie des émissions de la Chine proviennent en fait de la production de biens exportés pour être consommés ailleurs, alors que, dans les pays importateurs, l’empreinte carbone peut être considérablement sous-estimée. En France, par exemple, un rapport du Haut Conseil pour le Climat, daté de 2020, évaluait à 40 % les GES produits pour faire face à la demande des ménages et entreprises françaises qui étaient émis à l’étranger [lire].  


Figure 2 : Évolution des émissions de GES sur la période 1990-2018


Source: données de Climatewatch

télécharger figure : GES.jpg



2. Le futur climat mondial vu par le GIEC.


Le GIEC envisage cinq scénarios différents (Figure 3) :


  1. Deux scénarios avec de fortes émissions de GES. L’un (SSP5-8.5) correspond à une absence d’efforts pour lutter contre le changement climatique. Les combustibles fossiles continuent d’être la source principale d’énergie et le réchauffement global sera de 4,4 °C, ce qui provoquera des désastres côtiers sur une grande échelle et des événements météorologiques extrêmement dévastateurs, tout en rendant certaines parties du monde invivables. L’autre (SSP3-7.0) est moins extrême et se caractérise par une mauvaise coopération internationale. Il entraîne une augmentation de la température mondiale moyenne de 3,6 °C, et le niveau de la mer augmente de manière catastrophique.

  2. Un scénario intermédiaire (SSP2-4.5), cohérent avec les engagements actuels, qui provoquerait un réchauffement mondial de 2,7 °C. Dans ce scénario, il n’y a pas de glace dans l’Océan arctique en été. La production alimentaire est réduite, la chaleur extrême, les inondations et les sécheresses sont fréquentes, et les inégalités croissantes.

  3. Deux scénarios avec des émissions de GES plus basses. Dans l’un (SSP1-2.6), le zéro émissions nettes est atteint après 2050, et le réchauffement mondial est de 1,8 °C. Cependant, le niveau de la mer monte et il y a des risques d’inondations en zone côtière. Dans le dernier scénario (SSP1-1.9), les pays coopèrent bien, et les combustibles fossiles ne sont plus utilisés comme source d’énergie. La température  mondiale moyenne n’augmente que de 1,4 °C.


Figure 3 : Évolution des émissions de GES et de la température mondiale moyenne, selon les cinq scénarios du GIEC


(IPCC, 2021)

télécharger figure : GIEC_futur.jpg


Il découle des résultats de la COP26 de Glasgow en novembre 2021 qu’à moins que l’humanité se ressaisisse rapidement, c’est le terrible scénario intermédiaire (SSP2-4.5) qui est le plus probable. Le quatrième scénario décrit ci-dessus (SSP1-2.6) ne pourrait s’envisager qui si des changements radicaux sont mis en œuvre immédiatement.



3. La contribution de l’alimentation et de l’agriculture au changement climatique


L’alimentation est responsable d’un tiers des émissions de GES


Jusqu’à récemment, les estimations systématiques disponibles ne portaient que sur les GES émis par l’agriculture. C’est ce qui nous avait obligés à faire une évaluation grossière des émissions de GES dues à l’alimentation et à l’agriculture dans leur ensemble. Nous avions alors estimé qu’elles contribuaient entre 35 et 40 % des émissions globales produites par l’activité humaine [lire].


En 2021, une importante étude (en anglais) publiée sur Nature Food a proposé des estimations détaillées pour la période 1990-2015 et concluait que les systèmes alimentaires étaient responsables d’un tiers des GES totaux générés par l’humanité, mais qu’ils augmentaient moins vite que les émissions totales.


Figure 4 : Évolution des émissions mondiales de GES provenant de l’agriculture et de l’alimentation, par source (1990-2015)


Source: données de EDGAR-FOOD data

télécharger figure : GES_alimentation.png


Fondamentalement, l’agriculture et l’alimentation produisent des GES de trois manières : (i) par l’affectation des terres et le changement de l’affectation des terres, (ii) par la production agricole, et (iii) par les activités se déroulant en aval de la production agricole (Figure 4).


  1. L’affectation des terres et le changement de l’affectation des terres ont provoqué environ 31 % des émissions de GES totales provenant de l’agriculture et de l’alimentation, en 2015. Ce type d’émissions est en diminution (moins 17 % sur la période). Elles résultent principalement de la déforestation liée à l’expansion de l’agriculture, ainsi qu’à la dégradation de la matière organique présente dans les sols. Elles sont en majeure partie faites de dioxyde de carbone (CO2).

  2. Les GES émis lors de la production agricole représentaient 39 % du total en 2015. Elles se sont accrues de 13 % sur la période, surtout du fait de l’augmentation de la production animale qui est une source considérable de méthane, et de manière plus limitée, à cause du développement de la mécanisation (carburant et électricité). Ces émissions sont surtout faites de méthane (CH4 - 63 %), d’oxyde nitreux (NO2 - 23 %) et de dioxyde de carbone (14 %).

  3. Les activités se déroulant en aval de la production agricole (transport, transformation, emballage, détail, consommation, fin de cycle des produits) pesaient pour 30 % du total des émissions de l’alimentation et de l’agriculture en 2015. Ces émissions ont augmenté considérablement depuis 1990 (+66 percent) essentiellement à cause de la portion croissante de l’alimentation qui est commercialisée, transformée et stockée, et de l’énergie que ces activités demandent. Les GES générés par le commerce de détail ont été multipliés par 4 et ceux liés aux emballages ont augmenté de 88 %. Le volume de gaz fluorés - qui ont un pouvoir de réchauffement plusieurs milliers de fois plus grand que le dioxyde de carbone - a explosé pendant cette période du fait du développement des chaînes de froid. Les émissions en aval de la production agricole sont constituées de dioxyde de carbone (51 %), de méthane (39 %) et de gaz fluorés (7 %).


La Figure 4 montre, au niveau mondial, que la réduction des GES émis du fait du mode d’utilisation de la terre n’est pas suffisante pour compenser l’augmentation des émissions découlant de la production agricole et des activités se déroulant en aval de celle-ci.


La Figure 5 illustre combien la composition et l’évolution des GES émis par l’alimentation et l’agriculture dépendent de la richesse du pays (ou de la région) considéré.


Si l’on ignore les montants concernés - ils ont trait à un pays d’environ 64 millions d’habitants (France) et à une région de 352 millions d’habitants (Afrique de l’Ouest) -, on remarque que si les émissions semblent avoir atteint un maximum en France, elles continuent de croître en Afrique de l’Ouest.


L’autre différence, encore plus frappante, est l’origine des GES. En France, l’affectation des terres et sa variation ne sont qu’une source marginale (7 % du total), alors que la production est l’activité générant la majeure partie des émissions (54 %). L’aval de la production pèse 39 % du total, ce qui est caractéristique d’une économie urbanisée où l’autoconsommation est très limitée. Les GES issus de la commercialisation de détail (en orange) sont ceux qui croissent le plus rapidement.


Par contre, en Afrique de l’Ouest, l’affectation des terres est la principale source d’émission de GES (64 % du total), suivie par les GES découlant de la fin de cycle des produits (9 %), alors que la production et l’aval (à part de la fin de cycle) sont marginaux. C’est là le signe d’une économie rurale où l’autoconsommation est très importante, où la déforestation et les autres activités ayant trait à l’affectation des terres sont essentielles, et la question des pertes après récolte constitue un problème majeur.


Il est clair de cette comparaison que la réduction des émissions de GES liées à l’alimentation demandera des approches très différentes dans ces deux contextes.


Figure 5 : Évolution des GES émis par l’alimentation et l’agriculture

en France et en Afrique de l’Ouest (1990 to 2015)


Source: données de EDGAR-FOOD data

télécharger figure : France_AfriqueO.png


Dans l’agriculture, la production animale est la principale source d’émission de GES


Le Tableau 1 donne le détail des sources d’émission de GES dans l’agriculture mondiale. La fermentation entérique et la gestion du fumier représentent ensemble la moitié des émissions liées à la production agricole, soit bien davantage que les feux et la mise en culture des tourbières et autres sols organiques.


Tableau 1 : Sources d’émissions de GES dans la production agricole (2019)


Source : FAO

télécharger tableau : Tableau_1.png


Pendant la période 1990-2019, les principales sources qui ont vu leurs émissions augmenter au niveau mondial sont les résidus des récoltes (+44 %), suivis des engrais de synthèse (+42 %) et du fumier laissé sur les pâturages (+25 %).



4. Les principaux effets du changement climatique sur l’alimentation et l’agriculture


Le changement climatique a un impact sur les processus qui déterminent la production, la qualité et la sécurité de l’alimentation. La modification des températures et de la pluviométrie, la multiplication des événements météorologiques extrêmes et l’augmentation de la concentration dans l’air du dioxyde de carbone sont les principales transformations que subissent les conditions dans lesquelles ont lieu la production et la conservation des produits alimentaires.


Rendements réduits


Il y a désormais de solides preuves indiquant que les rendements sont diminués par les nouvelles conditions créées par le changement climatique. Les conséquences dépendent, bien sûr, des cultures, variétés et régions considérées, mais elles sont généralement plus négatives que positives et, en particulier, la variabilité de la production alimentaire augmente [lire]. Dans les zones semi-arides, qui couvrent plus de 15 % de la Terre, le réchauffement est plus fort, la pluviométrie plus irrégulière et les risques de sécheresse plus élevés. Au contraire, les zones tempérées bénéficient d’un climat plus chaud.


L’obligation de changer de cultures et de variétés


Au fur et à mesure que la température et la pluviométrie changent, les cultures et variétés utilisées ne sont plus adaptées aux nouvelles conditions. Cela signifie qu’il ne s’agit pas simplement d’avoir recours à de nouvelles variétés ou cultures, mais aussi, probablement, de transformer les rotations et la manière dont la terre est utilisée.


Par exemple, dans le domaine très sensible de la viticulture, on pourrait être amené à transférer les vignes vers le nord, et certains vins demandant des conditions agroclimatiques très spécifiques pourraient disparaître (par exemple dans le cas emblématique du célèbre vin de Sauterne dont le goût résulte de l’action d’un champignon spécial exigeant des conditions météorologiques spécifiques pour apparaître en temps opportun) [lire]. En l’occurrence, le problème est limité à un produit que certains qualifieront « de luxe », qui est cultivé par un nombre restreint de producteurs et consommé seulement par une partie de la population. Quand la culture concernée est un produit de base (par exemple le riz, le maïs, le blé ou le manioc), le problème peut avoir des conséquences désastreuses pour des centaines de millions de personnes, si les mesures appropriées ne sont pas prises à temps pour éviter des récoltes catastrophiques.


Plus de maladies et de ravageurs


Les conditions climatiques ont un effet sur la distribution des ravageurs et des maladies et leur impact sur la production. Le changement climatique perturbe la biologie des ravageurs, des maladies et de leurs vecteurs, en accélérant leur métabolisme, en permettant un plus grand nombre de générations pendant une saison et en influençant leur évolution.


Il peut également modifier la présence de leurs ennemis naturels ou des vecteurs qui les transportent. Cela a des conséquences sur l’impact que les ravageurs peuvent avoir, car si leur métabolisme est plus élevé, ils causeront davantage de dégâts sur les cultures.


Dans certains cas, la modification des conditions climatiques peut aussi réduire, voire éradiquer totalement certains ravageurs ou certaines maladies.


La pollinisation


Les pollinisateurs (insectes, oiseaux ou chauves-souris) sont responsables d’environ un tiers de la production végétale (cela concerne 1 500 cultures), et ils contribuent à augmenter les rendements de pratiquement 75 % des principales cultures alimentaires dans le monde [lire].


L’impact sur les pollinisateurs d’un climat qui change varie selon les situations et il dépend de processus complexes déterminant, par exemple, la présence de pollinisateurs au moment de la floraison, ou l’existence de parasites ou d’autres agents pouvant leur nuire.


Le changement climatique a également un effet sur la qualité de l’alimentation


Une température plus élevée, un excès ou un manque d’eau et une concentration plus forte de dioxyde de carbone modifient les processus biologiques influençant l’assimilation des nutriments par les plantes. Un temps plus chaud et plus de dioxyde de carbone dans l’air entraînent une plus faible concentration de protéines et de nutriments dans l’alimentation, ce qui peut provoquer des déficits en minéraux dans la population. C’est un fait clairement établi dans le cas de cultures très importantes comme le blé et le riz [lire en anglais].


Le bétail court plus de risques de maladies et de parasites, et son alimentation peut s’appauvrir


Des températures plus chaudes ont un effet sur la production et la reproduction des animaux, ainsi que sur leur santé, notamment du fait de stress thermique et d’une présence plus importante de parasites et de pathogènes. Elles peuvent aussi avoir un impact sur l’immunité.


Le changement climatique peut réduire la disponibilité en eau et avoir un effet néfaste sur la quantité et la qualité de la biomasse que les animaux trouvent dans les pâturages et les parcours.


La pêche et les forêts risquent d’être perturbées par le changement climatique


Le changement climatique modifie la température de surface, l’acidité et la concentration en oxygène de l’eau, ce qui a des conséquences sur la productivité des systèmes aquatiques. Il a un impact sur la quantité et la distribution du phytoplancton et peut déclencher des migrations de poissons considérables.


Les projections envisagent une importante augmentation de la capture de poisson dans les zones de hautes latitudes et une diminution comparable dans les régions tropicales. En outre, au fur et à mesure que le niveau de la mer s’élève, des intrusions d’eau saline peuvent avoir lieu et avoir un effet dévastateur sur la production.


Quand le climat change, de la même façon que les cultures, les arbres des forêts peuvent devenir inadaptés aux nouvelles conditions. Le manque ou l’excès d’eau peuvent créer une situation permettant la prolifération ou l’introduction d’insectes et de pathogènes, ainsi que les feux de forêt. La présence accrue de dioxyde de carbone dans l’air stimule la croissance des arbres, si les autres facteurs demeurent favorables.


Les arbres à longue durée de vie sont menacés par le changement climatique, car ils ne peuvent pas s’adapter au nouvel environnement suffisamment vite. Les événements extrêmes tels que les tempêtes et ouragans constituent un autre danger important pour les arbres [lire en anglais].


Ces conséquences doivent être prises en compte lors de l’installation de plantations, afin de s’assurer que les espèces choisies sont adaptées aux conditions climatiques futures.


Le changement climatique augmente les risques de sécurité des aliments lors du transport et du stockage


Des températures et une humidité élevées modifient la dynamique des organismes contaminants (par exemple les champignons producteurs de mycotoxines, les bactéries telles que les salmonelles et les dinoflagellés) et créent des risques accrus de sécurité des aliments aux stades de la production, du transport et du stockage [lire en anglais]. Par exemple, il y a de bonnes preuves que la contamination du maïs par l’aflatoxine en Europe méridionale et la contamination du blé par le déoxinivalénol en Europe du Nord-ouest devraient augmenter de manière significative à l’avenir [lire en anglais].



5. Pourquoi l’agriculture et l’alimentation devraient-elles changer ?


Il y a deux raisons principales qui font que l’agriculture et l’alimentation devraient changer :


  1. Pour s’adapter au dérèglement climatique.


Ne pas s’adapter aux changements qui viennent d’être énumérés entraînerait une diminution de la production et une plus grande insécurité alimentaire mondiale et locale.


  1. Pour atténuer le dérèglement climatique en réduisant les émissions de GES.


L’alimentation et de l’agriculture étant des sources majeures de GES, toute diminution des émissions mondiales exigera une transformation de l’agriculture et de l’alimentation visant à abaisser de manière significative leurs émissions et en développant l’absorption du dioxyde de carbone par les puits de GES,.



6. Comment l’alimentation et l’agriculture peuvent-elles changer pour s’adapter au dérèglement climatique ? [lire]


S’adapter au changement climatique veut essentiellement dire modifier la production agricole pour qu’elle soit acclimatée aux conditions agroécologiques locales au fur et à mesure que celles-ci évoluent, tout en anticipant sa tendance future. Les suggestions faites ici sont générale et les actions requises dépendront du contexte specific, comme l’illustre très bien la comparaison faite, ci-dessus, entre la France et l’Afrique de l’Ouest.


Que recouvre cette adaptation ?


Changer les espèces, variétés et lignées


Chaque espèce, variété végétale ou lignée animale est adaptée à une certaine gamme de conditions agroécologiques. Au fur et à mesure que les conditions évoluent, certaines cultures ou certains animaux se retrouvent dans des situations où leur performance n’est plus satisfaisante. Ils devraient alors être remplacés par d’autres qui sont mieux adaptés au nouveau contexte. Cela requiert d’avoir à disposition un stock important d’espèces, de variétés et de lignées parmi lesquelles les producteurs peuvent choisir les mieux adaptées aux nouvelles conditions.


La biodiversité agricole apparaît donc comme un préalable crucial pour l’adaptation. Mais malheureusement, l’évolution de l’agriculture a été faite d’une perte de biodiversité agricole et d’un appauvrissement du matériel génétique utilisé dans les unités de production agricoles, principalement du fait de la priorité donnée aux intérêts et profits privés à travers une réglementation restrictive. Cette tendance doit être inversée [lire p.7-12].


Changer les espèces peut également s’avérer décisif dans le cas où des cultures introduites ne sont pas bien adaptées aux conditions locales et demandent de l’irrigation. Elles risquent de devenir de plus en plus difficiles à cultiver au fur et à mesure que le climat se réchauffe et s’assèche, ce qui les ferait exercer une pression accrue sur les ressources en eau limitées. Le cas du maïs en France est une bonne illustration d’une culture qui s’est répandue depuis les années 1960 en soutien au développement de l’élevage industriel, alors que les conditions ne lui sont pas vraiment favorables et qu’elle rencontre à présent d’importants problèmes de sécheresse et de disponibilité en eau.2


Diversifier pour diminuer le risque


Au cours des dernières décennies, l’agriculture mondiale est devenue une activité qui dépend d’un nombre limité de variétés et repose sur la monoculture. Ceci a rendu le système agricole extrêmement vulnérable aux maladies, aux ravageurs et aux événements météorologiques. Le revenu des producteurs individuels est devenu très sensible à ces risques, auxquels il faut ajouter les aléas découlant d’une plus grande volatilité des prix des produits.


Une solution pour augmenter la sécurité est de diversifier les variétés ou lignées utilisées pour chaque espèce et d’avoir recours à des associations de cultures ou à des rotations qui bénéficient des complémentarités existant entre différentes plantes (par exemple entre les céréales et les légumineuses) et apportent d’autres bienfaits en matière de lutte contre les ravageurs et les maladies, d’amélioration de la qualité du sol et de diminution de l’usage d’intrants chimiques toxiques. La polyculture plutôt que la monoculture, qui s’est historiquement imposée du fait d’une spécialisation très pointue des régions, atténue aussi les risques économiques liés à la fluctuation des prix dans la mesure où une unité de production devient moins dépendante d’un seul produit.


Cette uniformisation n’est pas limitée aux cultures, et le même phénomène s’observe également dans le domaine de la production animale. L’industrialisation s’y est traduite par un gigantisme vertigineux3 aboutissant à des élevages rassemblant des populations énormes d’animaux homogènes génétiquement, vivant dans des espaces confinés propices à la propagation des maladies.


Améliorer les infrastructures de drainage et d’irrigation


Les infrastructures de drainage et d’irrigation ont été depuis très longtemps les moyens les plus visibles que l’humanité a utilisés pour adapter son agriculture aux variations du climat et à l’excès ou au manque d’eau qui en découlent. Plus récemment, la révolution verte s’est fortement appuyée sur ce type d’infrastructure ainsi que sur le recours massif aux intrants chimiques pour atteindre des niveaux records de production alimentaire. La construction de ces infrastructures a représenté une part énorme des investissements agricoles au cours des dernières décennies. De ce fait, l’agriculture consomme aujourd’hui environ 70 % de l’eau prélevée par l’humanité. Mais l’irrigation est une solution fragile, gaspilleuse et inégalitaire et son expansion s’avérera extrêmement coûteuse et risquée [lire]. Cependant, dans quelques rares cas spécifiques, elle pourrait encore être un bon procédé, à condition que les technologies utilisées ne soient pas énergivores.




Changer les priorités dans le domaine de la recherche


Plutôt que de dépenser des milliards sur l’infrastructure d’irrigation, de subventionner les intrants agrochimiques toxiques et de soutenir des produits nocifs pour le climat et l’environnement [lire], les politiques publiques devraient réorienter les ressources vers le financement de la recherche agricole afin de protéger la biodiversité, développer de nouvelles variétés capables de faire face à la sécheresse ou à l’excès d’eau [lire], exploiter les possibilités de symbiose entre les plantes et les micro-organismes [lire], tester des associations de cultures et d’autres techniques respectueuses de l’environnement4 qui pourront aider à rendre l’agriculture plus résiliente en s’appuyant sur les complémentarités pouvant exister entre cultures, en menant un combat biologique intégré contre les ravageurs, en faisant de la prévention des maladies affectant les végétaux et les animaux, en régénérant les sols dégradés, en améliorant les jachères, et en utilisant l’agroforesterie, l’agriculture de conservation et la gestion durable des terres.


Le développement de telles technologies aurait également l’avantage de promouvoir de meilleures pratiques basées sur les connaissances scientifiques qui ne seront pas coûteuses à adopter et qui seront donc accessibles à la masse des petits producteurs qui n’ont pas les moyens d’acheter des intrants onéreux, pourvu qu’ils soient informés et formés. La difficulté pour faire cette « nouvelle révolution agricole et alimentaire » est que ces technologies devront être géographiquement spécifiques, et que, dans la mesure où ce sont des techniques à faible utilisation d’intrants, elles n’attireront probablement pas les investisseurs privés, car il n’y aura pas de gros profits à faire comme dans le cas de la construction de lourdes infrastructures ou la vente d’intrants agricoles du type de ceux utilisés par la technologie de la révolution verte. Elles demanderont donc une forte implication des pouvoirs publics [lire].



7. Quelles sont les transformations dans l’alimentation et l’agriculture qui pourront atténuer le changement climatique ?


S’adapter au dérèglement du climat ne sera pas suffisant ! La diminution des émissions de GES sera aussi essentielle. En tant qu’émettrices très importantes, l’agriculture et l’alimentation devront évoluer pour devenir plus respectueuses du climat.


Les scénarios du GIEC, décrits ci-dessus, montrent que le défi est considérable et que les gains de la réduction des GES seront déterminants pour les conditions de vie de l’humanité dans les décennies à venir, et pour la mesure dans laquelle la vie quotidienne sera émaillée de désastres et de souffrances. Il est clair que les deux scénarios du GIEC simulant de fortes réductions de GES sont hors de portée, à moins que l’agriculture et l’alimentation soient profondément transformées.


Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?


La réponse à cette question exige l’identification de moyens effectifs pour réduire les émissions provenant de l’agriculture et de l’alimentation, en examinant successivement chacune des principales sources de GES.


Protéger les forêts et les tourbières, et augmenter leur capacité comme puits de carbone


On estime que l’agriculture est responsable de presque 80 % des 1,2 million d’hectares qui sont déboisés chaque année (63 % sont dus à l’expansion de l’agriculture familiale et 16 % au développement de plantations). Cette diminution des forêts est seulement partiellement compensée par divers types de programmes de plantation et de régénération forestière qui portent sur environ 800 000 hectares par an [lire].


Pour combattre la déforestation causée par l’agriculture, il s’agit d’augmenter la productivité des terres agricoles et d’assurer une distribution plus juste des terres de façon à ce que les habitants des zones rurales puissent avoir suffisamment de terres pour leur garantir une existence décente sans qu’ils soient obligés d’empiéter sur les forêts. Il faut également protéger les forêts et encore davantage les tourbières - en interdisant par exemple leur destruction en vue de la culture d’huile de palme [lire] - et améliorer la gestion forestière afin d’accroître les quantités de carbone séquestrées par les arbres et le sol. Cette stratégie devrait reposer sur des paiements réellement rémunérateurs qui offrent une compensation effective aux communautés rurales qui acceptent de mettre leur forêt en défens, ainsi que par des programmes qui créent de véritables opportunités d’emploi pour leur population, ce qui n’est, malheureusement, généralement pas le cas.




Diminuer et améliorer la conduite de l’élevage, en baissant la consommation de produits animaux, en changeant le régime alimentaire des animaux et en perfectionnant la gestion de leurs déjections et des déchets


Ces dernières années ont vu une augmentation rapide de la consommation de produits animaux (en particulier de viande), dont la production dégage des GES et est une des causes majeures de déforestation. La production mondiale de viande est ainsi passée de 71 millions de tonnes en 1961 à 179 millions de tonnes en 1990, et à 337 millions de tonnes en 2019 (FAOSTAT), multiplié par plus de 4 en six décennies et exerçant une pression croissante sur l’environnement.


En outre, une consommation excessive de viande et de produits carnés s’avère aussi avoir un impact négatif sur la santé humaine. La production animale intensive sur une grande échelle crée également des risques tels que les zoonoses [lire], la pollution due à une mauvaise gestion des déjections et déchets animaux qui, entre autres, contribuent à la contamination de l’eau potable et provoquent le pullulement d’algues dans les zones côtières.


L’élevage industriel entre également en compétition avec l’humanité en matière d’alimentation en réduisant la disponibilité de certains produits de base. Il participe ainsi à l’abaissement de l’efficacité globale de l’agriculture comme source de nourriture.5


Pour toutes ces raisons, la production animale devrait être soumise à une réglementation environnementale plus stricte et la consommation de ses produits devrait être découragée grâce à de grandes campagnes d’information des consommateurs sur la nutrition, ainsi que par des prix plus élevés reflétant leur coût réel et permettant de rémunérer correctement les éleveurs. Des techniques améliorées d’alimentation animale et de nouveaux mélanges alimentaires permettant de réduire les fermentations entériques, ainsi qu’une gestion plus efficace des déjections et des déchets animaux, devraient être adoptés sur la base des résultats des recherches déjà en cours.


Réduire le gaspillage et les pertes alimentaires


Cela nécessitera une modification dans le comportement des consommateurs afin qu’ils jettent moins de nourriture. Cela demandera également une évolution des normes commerciales et de calibration -  qui font qu’une partie importante de la production est jetée dès le stade de la récolte - et des principes de gestion de la nourriture dans les commerces de détail et de grande distribution, davantage de flexibilité dans la réglementation relative à la durée de vie des produits et des incitations aux dons à des associations et des banques alimentaires qui aident les groupes de population vulnérables lire].


Réduire la consommation d’énergie pour la culture, la transformation, le stockage et le transport


Dans ce cas, il s’agit d’adopter des technologies moins gourmandes en énergie (comme le non-labour ou labour minimal) qui ont également d’autres avantages agronomiques et s’accompagnent d’une moindre utilisation de produits agrochimiques (comme les engrais nitratés qui sont produits par un processus nécessitant beaucoup d’énergie [lire]), d’avoir recours à des technologies moins énergivores et d’améliorer la gestion des usines agro-industrielles (comme le recyclage des déchets pour en faire une source d’énergie). Ceci peut être fait en supprimant progressivement les subventions sur l’énergie6 et notamment sur le carburant et les engrais, et en redirigeant les ressources publiques vers la recherche et tout particulièrement vers le développement de techniques agricoles spécifiques adaptées aux circonstances locales et à faible utilisation d’intrants. Ces changements de politique devraient être encouragés par des conditions plus favorables au développement des AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) et davantage d’information pour les consommateurs pour les convaincre de changer leur comportement et les pousser à se porter sur des produits locaux et de saison plutôt que sur de la nourriture commerciale banalisée, « de la nourriture de nulle part » (intraçable, favorisant l’opacité dans les relations et souvent, malheureusement, moins coûteuse).


Augmenter la capacité de stockage du carbone dans les terres agricoles


Ceci peut être réalisé en adoptant des techniques agronomiques qui augmentent la biomasse en surface (comme l’agroforesterie) et la matière organique stockée dans le sol (comme l’agriculture biologique régénératrice). Certaines estimations montrent que si la moitié des terres agricoles étaient cultivées grâce à ces technologies, l’équivalent d’un an des émissions mondiales de GES pourrait être ainsi stocké [lire].



8. Les opportunités existent, mais le défi est de renverser des tendances bien établies


Il est encourageant de noter qu’il y a des synergies et pas de contradiction entre les mesures cherchant à réduire les émissions de GES et celles voulant adapter le système alimentaire mondial au dérèglement climatique, et que toutes contribuent à rendre le système alimentaire mondial plus durable (voir Tableau 2).


Tableau 2 : Principales synergies entre les mesures d’atténuation et d’adaptation

au dérèglement climatique


télécharger tableau : Tableau_2.png


Mettre en œuvre les changements requis nécessitera une reconstruction du système alimentaire mondial, y compris une profonde transformation des méthodes de gestion de la production agricole et un bouleversement des modes de consommation : une véritable « nouvelle révolution agricole et alimentaire ». Ces changements ne se produiront ni d’un jour à l’autre ni « naturellement ». Plutôt, ils demanderont énormément d’explications, d’information, de formation et de mobilisation de toutes les parties prenantes (producteurs, industriels, commerçants et consommateurs) et exigeront un tournant radical dans les politiques publiques afin d’offrir à tous un cadre légal approprié, les incitations et le soutien indispensables.


La difficulté pour effectuer ces changements est qu’ils iront contre l’intérêt de puissantes forces économiques qui influencent les politiques partout dans le monde.


Dans le domaine de la production :


Au cours des 70 ans qui viennent de s’écouler, tous les efforts ont été dirigés vers la promotion d’un type particulier de système alimentaire : un système extrêmement énergivore à tous les niveaux des filières alimentaires et dont le développement a accompagné l’émergence des industries chimiques et des travaux publics. Et, à présent, les règles et les incitations en place protègent ce système et empêchent le développement d’un système plus respectueux du climat (voir Encadré 1).



Basé sur « Les politiques agricoles et alimentaires en place sont-elles favorables à des systèmes alimentaires locaux durables ? »


Même si le système en place a montré ses limites dans les pays riches, on en fait la promotion dans les pays pauvres grâce à des programmes soutenus par des intérêts publics et privés, financés par les deniers publics. Ces programmes ont tendance à marginaliser la masse des paysans qui n’est pas capable d’y participer par manque des moyens requis pour adopter les techniques recommandées ou bien parce qu’elle est purement et simplement, et de façon violente, dépossédée des ressources naturelles (terre, eau et ressource génétiques) desquelles dépend sa survie (voir Encadré 2).



Basé sur « L’Union européenne enquête sur la Nouvelle alliance sur la sécurité alimentaire et la nutrition du G8. »


Dans le domaine de la consommation :


L’analyse des tendances observées dans les modes de consommation alimentaire montre une très forte augmentation de la place en son sein des produits transformés. Cette orientation s’est affirmée depuis des décennies dans les pays riches où les produits agro-industriels et le grignotage sont devenus communs, et où manger dans la restauration rapide ou les autres restaurants, particulièrement, mais pas uniquement à midi, est de plus en plus fréquent. Cette évolution se traduit également dans les échanges commerciaux où les produits transformés tiennent une part croissante.


Jusqu’à très récemment, on croyait que cette mutation ne touchait pas la majorité des consommateurs des pays pauvres pour lesquels le principal changement dans le régime alimentaire était un remplacement progressif des produits de base par des produits d’origine animale à forte valeur, dans la mesure de leurs moyens. Une étude récente montre cependant qu’à la suite de la crise alimentaire de 2008, les consommateurs des pays pauvres, y compris des personnes très pauvres, mangent de plus en plus de produits transformés et d’en-cas afin de gagner du temps pour pouvoir travailler davantage. Cette nourriture industrielle à fort contenu en sucre, graisses et sel, a également un caractère addictif, surtout pour les jeunes, et confère à ceux qui les consomment une personnalité et un statut particulier [lire]. En plus d’avoir de sérieuses implications sur la santé et la cohésion sociale, chose bien connue dans les pays riches, cette évolution contribue aussi au développement des flux commerciaux et va à l’encontre du « consommer local », dans la mesure où les préférences des consommateurs se tournent alors de plus en plus vers des régimes alimentaires reposant sur de la « nourriture de nulle part » provenant de n’importe où.


Ces quelques exemples montrent qu’il y a effectivement un besoin de changer radicalement la direction de l’évolution du système alimentaire mondial s’il doit jouer son rôle dans l’atténuation du dérèglement climatique et s’adapter aux changements des conditions climatiques.


Le Tableau 3 résume les points essentiels soulevés jusqu’à présent dans cet article.


Tableau 3 : Caractéristiques intrinsèques du système alimentaire mondial

et leurs relations avec le dérèglement climatique


télécharger tableau : Tableau_3.png



6. Alors, que faudrait-il faire pour rendre le système alimentaire mondial plus respectueux du climat ?


Quelques idées pour définir la marche à suivre


Ci-dessous, est énumérée une série de changements qui transformeraient fondamentalement le système alimentaire mondial et le rendrait plus résilient au dérèglement climatique tout en réduisant son propre rôle comme facteur du détraquement du climat. Ils pourraient déclencher l’indispensable « nouvelle révolution agricole et alimentaire ».


  1. Transformer le cadre incitatif :


      1. Dénicher et supprimer toutes les subventions qui encouragent des pratiques provoquant des émissions de GES. Ceci inclut les subventions sur les énergies fossiles, sur les intrants chimiques et les machines utilisant des énergies fossiles (y compris l’électricité tant que celle-ci sera principalement le résultat de la combustion de carburants fossiles) dans la production primaire aussi bien que tout au long des filières.

      2. Encourager par des subventions des pratiques respectueuses du climat qui, pour l’instant, sont désavantagées dans la mesure où elles entrent en compétition avec des techniques qui génèrent des externalités négatives7 pour lesquelles elles ne sont pas taxées.8

      3. Laisser augmenter quelque peu le prix de la nourriture afin de réduire le gaspillage, rémunérer décemment les producteurs et compenser les catégories de population des plus pauvres par un système renforcé de protection sociale.

      4. Octroyer des exonérations fiscales aux commerces de détail et aux supermarchés pour les donations faites aux associations et aux banques alimentaires.

      5. Accorder des incitations financières en faveur du recyclage des déchets.

      6. Réévaluer les montants payés aux communautés locales qui acceptent de mettre leur forêt en défens et les soutenir dans leurs efforts de création d’activités respectueuses du climat qui puissent les aider à développer leur économie.

      7. Protéger de façon effective les droits fonciers des communautés rurales.


    1. Transformer le cadre réglementaire :


      1. Imposer des règles qui interdisent certaines pratiques nocives dans les filières qui émettent de grandes quantités de GES.

      2. Modifier ou adapter le cadre réglementaire et institutionnel afin de supprimer les obstacles à la création et au fonctionnement d’une agriculture locale durable de type AMAP (voir Encadré 1).

      3. Préserver la biodiversité agricole en protégeant la liberté des producteurs d’utiliser et d’échanger leurs semences et soutenir la recherche en vue du développement de nouvelles variétés.

      4. Revoir les règles de gestion des produits alimentaires dans les commerces de détail et les supermarchés afin de diminuer le gaspillage.

      5. Élaborer et appliquer des normes environnementales plus strictes pour l’élevage industriel à grande échelle.

      6. Assurer une protection effective des tourbières, y compris par l’interdiction de leur remplacement par des plantations de palmier à huile.


    1. Investir dans la recherche, le développement et la dissémination de technologies respectueuses du climat :


      1. Mettre en œuvre des activités de recherche dans le domaine des innovations technologiques qui ne créent pas d’externalités négatives (y compris l’émission de GES) et ne demandent pas d’investissement en infrastructures dont la construction est énergivore. La priorité devrait être accordée aux technologies à haute intensité de connaissances (plutôt qu’à forte intensité de capital) pour en rendre l’accès plus aisé aux producteurs pauvres et réduire les coûts de production au bénéfice des  producteurs et des consommateurs. Cela contribuera à accroître la productivité des terres agricoles, diminuera la pression sur les forêts et augmentera le stockage de carbone dans le sol. Ceci demandera davantage de financement public dans la mesure où ces nouvelles technologies ne pourront pas être facilement incorporées dans des produits commercialisables et ne susciteront donc pas beaucoup d’intérêt de la part du secteur privé.

      2. Mener davantage de recherches locales spécifiques en vue de préparer des paquets technologiques bien adaptés aux conditions locales changeantes.

      3. Renforcer la recherche sur la manière d’utiliser la biodiversité agricole pour réaliser une gestion plus efficace de la fertilité des sols et combattre les ravageurs et les maladies.

      4. Développer des techniques de stockage et de transformation des produits alimentaires qui sont moins énergivores, ainsi que des méthodes de recyclage des déchets en vue de la production d’énergie qui sera utilisée dans les processus de transformation et stockage de la nourriture.

      5. Inventer de nouvelles techniques de gestion des forêts qui permettent un stockage plus important de biomasse et la préservation de la biodiversité.

      6. Investir dans la recherche en agroforesterie pour capter les bénéfices qu’elle crée dans le domaine de la gestion de microclimats, d’amélioration de la fertilité des sols et d’augmentation du stockage de biomasse en surface.

      7. Perfectionner les programmes de dissémination et d’aide à l’adoption de nouvelles technologies résultant d’efforts redoublés en matière de recherche.


    1. Promouvoir le développement rural par l’intermédiaire de programmes de création d’emplois et d’opportunités économiques pour les communautés rurales, de façon à réduire la pression sur les terres agricoles et les forêts.


    1. Mettre en œuvre des campagnes d’information sur l’alimentation pour le grand public  et des systèmes de labels afin d’influencer les choix et les comportements alimentaires et d’entraîner ainsi une baisse de consommation de nourriture marchandisée, hors saison, ou provenant de pays lointains.


Des suggestions et réflexions complémentaires peuvent également être trouvées dans les articles suivants déjà parus sur lafaimexpliquee.org :


  1. Obstacles à la transition - Pourquoi est-il si difficile de rendre notre système alimentaire plus durable et plus respectueux du climat ? (2019).

  2. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat (2018).



7. Conclusion


Cette analyse de la relation climat-alimentation montre qu’elle est complexe et qu’elle comporte deux dimensions principales : l’alimentation est une cause du dérèglement climatique et celui-ci est une menace pour notre sécurité alimentaire. Il faut donc agir à la fois sur la réduction des émissions produites par le système alimentaire et sur l’adaptation de ce système à l’évolution des conditions climatiques. Il est intéressant de noter que ce second aspect est généralement bien mieux couvert dans le discours des principaux acteurs de l’agriculture et de l’alimentation au niveau mondial. Cela démontre une volonté  affirmée de « gérer et préserver » le système alimentaire mondial, et surtout de ne pas remettre en question le paradigme sur lequel il repose depuis un siècle, comme si l’évolution de l’alimentation et de l’agriculture avait été un « processus naturel » sans alternative possible, quand nous savons très bien qu’elle a été guidée pour atteindre des objectifs bien spécifiques (produire une alimentation de masse et bon marché, créer des activités économiques et utiliser des intrants mis au point par l’industrie chimique, notamment).


Mais les solutions à ce problème sont connues et ont été énumérées ici. Elles reviennent à réaliser une véritable « nouvelle révolution agricole et alimentaire ». Pour les appliquer, il s’agira de traiter plusieurs questions :


  1. Il faudra régler la question politique de leur mise en œuvre dans la mesure où, comme c’est généralement le cas quand il y a un changement de politiques, il y aura des gagnants et des perdants. Ce qui rend la résolution de cette question particulièrement épineuse c’est que beaucoup parmi les perdants potentiels sont de puissantes compagnies qui peuvent mobiliser d’énormes ressources pour influencer les politiques et que l’on a vues à l’œuvre récemment au Sommet sur les systèmes alimentaires durables [lire] et lors de la COP26 de Glasgow [lire]. Par ailleurs, il s’agira également pour chacun de changer son comportement personnel [lire], et il n’est pas sûr que nous soyons prêts à le faire à moins d’être encouragés par de l’information et des incitations, ou forcés par une réglementation. Beaucoup d’entre nous seront aussi les bénéficiaires de cette transformation, grâce à une santé améliorée et de nouveaux emplois, et il y aura encore davantage de bénéficiaires dans le futur (les générations à venir) qui sont malheureusement sans voix et n’ont donc pas les moyens de peser sur les politiques présentes…9 

  2. Il s’agit de penser global et non national, au moment où la tendance est pratiquement partout à une réaction contre le multilatéralisme et l’adoption d’une attitude de plus en plus d’être centrée sur son propre pays et les intérêts locaux, voire d’opter pour une approche franchement nationaliste.

  3. Cela prendra du temps…, car il en faudra avant de voir les résultats des efforts et des investissements faits dans la recherche se concrétiser, et davantage encore pour bénéficier de l’impact de leur mise en œuvre.

  4. Il faudra des ressources, ce qui met les pays dans des situations très différentes : les pays riches ont les moyens de faire ce qu’il faut, mais non les pays pauvres. Selon l’Accord de Paris, les pays riches s’étaient engagés à aider à financer les efforts dans les pays pauvres grâce à un mécanisme de financement qui devait mobiliser 100 milliards de dollars par an dès 2020 (pour tous les secteurs). Mais c’est là une promesse qui fut honteusement trahie [lire].


En d’autres termes, à moins qu’il n’y ait une forte mobilisation pour mettre toutes ces idées en œuvre, le climat continuera à changer et le système alimentaire mondial restera fidèle à ce qu’il est aujourd’hui, avec toutes les conséquences délétères qui en découleront et ne pourront être évitées.


L’espoir peut se nourrir de la multitude d’initiatives locales en tout genre qui vont dans la bonne direction, le développement des AMAP, la croissance rapide de l’agriculture bio et de l’agro-écologie, et la mobilisation des jeunes pour le climat. Mais la transformation du système alimentaire ne sera suffisamment profonde que le jour où le cadre réglementaire et incitatif aura été refondé et réorienté, et nos attitudes individuelles auront changé pour enfin laisser se produire la « nouvelle révolution agricole et alimentaire » indispensable pour préserver notre avenir.

Materne Maetz

(décembre 2021)


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Notes


  1. 1.Ce texte actualise et apporte quelques complément à Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi - Vers une « nouvelle révolution agricole et alimentaire », publié sur lafaimexpliquee.org en 2016.

  2. 2.La production de maïs en France est passée de 2,5 millions de tonnes en 1961 à 12,8 millions de tonnes en 2019, après avoir connu un maximum de 18,3 millions de tonnes en 2014.

  3. 3.En 2020, aux États-Unis, la taille de certains élevages porcins et bovins atteignaient presque un million d’animaux ! [lire en anglais]

  4. 4.Voir par exemple la technique du Push-pull développée par l’ICIPE - African Insect Science for Food and Health.

  5. 5.L’élevage industriel consomme énormément de produits végétaux (céréales et oléagineux, en particulier)  qui sont souvent transportés sur de longues distances et qui sont transformés de façon inefficace en produits alimentaires, l’élevage entrant ainsi en compétition avec la population humaine pour les produits végétaux.

  6. 6.Le Fonds monétaire international (FMI) estime qu’en 2017, les subventions sur l’énergie accordées dans le monde se montaient à 5 200 milliards de dollars (6,5% du PIB mondial, soit légèrement plus que le PIB du Japon) [lire en anglais].

  7. 7.Une externalité correspond à une situation dans laquelle l'acte de production ou de consommation d'un agent économique a un impact positif ou négatif sur la situation d'un ou plusieurs autres agents non impliqués dans l'action, sans que ceux-ci n’aient à payer pour tous les bénéfices dont ils ont profité ou sans qu’ils ne soient totalement compensés pour les dommages qu’ils ont subis. En pratique, cela signifie souvent que ces coûts devront être assumés par les générations futures.

  8. 8.Sur ce sujet, lire La face cachée du chocolat: une comparaison des filières cacao ‘conventionnelle’, ‘durable’ et ‘équitable’, lafaimepliquee.org, 2016 and Des chercheurs montrent que l’agriculture biologique génère plus de valeur économique que l’agriculture conventionnelle, lafaimexpliquee.org, 2015. Voir aussi  A. MacMillan, Le moment n’est-il pas venu de repenser la gestion de notre alimentation ?, 2014.

  9. 9. Cette question est traitée sous différents angles dans notre page “Equité intergénérationnelle”, lafaimexpliquee.org, 2012-2015.



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Pour en savoir davantage :


  1. IPCC, 2021: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, 2021 (en anglais).

  2. Crippa, M., Solazzo, E., Guizzardi, D. et al. Food systems are responsible for a third of global anthropogenic GHG emissions. Nat Food 2, 198–209 (2021) (en anglais).

  3. IPCC, Food Security. In: Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems, 2019 (en anglais).

  4. FAO, Agriculture durable et biodiversité. 2018.

  5. FAO, La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2016 - Changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire, 2016.



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Opinions : Injustice et défilade climatique à Glasgow par Jomo Kwame Sundaram et Anis Chowdhury, 2021.

  2. France : Quarante pour cent des gaz à effet de serre produits pour satisfaire la demande des ménages et des entreprises sont émis à l’étranger, 2020.

  3. Opinion : Lutter contre le changement climatique au quotidien par M. Maetz, 2020.

  4. Obstacles à la transition - Pourquoi est-il si difficile de rendre notre système alimentaire plus durable et plus respectueux du climat ? 2019.

  5. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  6. Alimentation et dérèglement climatique : Consommateurs et producteurs, ensemble agissons pour changer notre système alimentaire ! 2017

  7. Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi - Vers une « nouvelle révolution agricole et alimentaire », 2016.

 

Dernière actualisation: décembre 2021

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