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13 juillet 2019



Profession lobbyiste : accepter de se mobiliser contre l’agriculture durable pour développer les profits des entreprises vous finançant


Employé par l’antenne bruxelloise du lobby libéral américain Consumer Choice Centre (Centre du choix des consommateurs) financé Altas Network, une entité regroupant près de 500 organisations favorables au libéralisme de marché, par le Geneva Network, un lobby financé notamment par le secteur privé faisant la promotion d’un commerce international pleinement libéralisé, par des grandes compagnies commercialisant le cannabis (Wayland et Supreme Cannabis) ou le tabac (Japan Tobacco International), par des opérateurs financiers (Canaccord) et par la Facebook Corporation, Bill Wirtz multiplie des textes dans divers médias (La Tribune, Atlantico et d’autres) portant sur des sujets aussi divers que l’innocuité « scientifiquement prouvée » des pesticides et des OGM [lire en anglais], la critique populiste du mouvement contre le changement climatique [lire], la promotion d’avions supersoniques [lire en anglais], la critique de la lutte contre la consommation du tabac en Europe [lire], la « vérité » sur la disparition des abeilles et de la biodiversité [lire], etc..


Et voilà que cette personne qui travaille pour une organisation qui s’enorgueillit d’avoir réussi à faire passer une politique qui permettra aux consommateurs de laisser libre cours à leur goût pour l’alcool [lire en anglais] et qui parait plus concernée par le chiffre d’affaires de ses soutiens que du bien-être et de la santé des consommateurs qu’elle prétend défendre (si on en croit sa dénomination), voilà donc que cette personne publie un article intitulé « Exporter l'agroécologie en Afrique est immoral ». Le titre en anglais est encore plus parlant et peut se traduire par « Les Nations Unies aggravent la faim dans le monde » [lire l’article en anglais].




Ce représentant emblématique d’une internationale faisant la promotion de la libre entreprise et du commerce libéralisé y explique que la promotion de l’« agriculture biologique et non-OGM » est une « réforme malavisée et non-scientifique qui aurait un impact dévastateur dans les parties de l'Afrique en développement qui ont le plus besoin d’innovation ». Pour soutenir sa position, il mêle allègrement des arguments statistiques, idéologiques, scientifiques et moraux soigneusement choisis pour illustrer son propos, en dépit de toute rigueur, accusant les promoteurs de l’agroécologie de déformer la réalité « scientifique », c’est-à-dire de faire ce que lui-même pratique allègement dans son article, dans l’espoir, sans doute, que ses accusations rendent moins visibles les entourloupettes auxquelles il a recours.


À titre d’exemple, il s’appuie sur une étude scientifique affirmant qu’en Europe la transition de l’agriculture industrielle agrochimique intensive vers l’agroécologie entraînerait une diminution de 35 % des rendements, sous-entendant qu’il en serait de même en Afrique alors que l’agriculture qui s’y pratique est largement moins intensive et productive qu’en Europe (c’est la raison pour laquelle ce continent représente un marché potentiel que l’agrochimie entend emporter). N’oublions pas de mentionner ici que la baisse attendue de 35 % des rendements en Europe repose sur l’hypothèse que si l’on poursuivait en Europe l’application d’une agriculture agrochimique intensive, les rendements resteraient indéfiniment stables, ce qui semble une hypothèse pour le moins osée dans l’état actuel des connaissance.


Toujours selon la même approche, il met en avant quelques partisans de l’agroécologie en les blâmant pour leur « activisme anti-science, basé sur des fantasmes écologistes » - une procédure classique de dénigrement de la masse à partir de quelques exemples extrêmes soigneusement choisis, alors que l’on pourrait lui rétorquer que lui-même refuse les montagnes d’évidence scientifique de la non-durabilité de l’agrochimie en mettant en avant ses propres fantasmes technicistes…


Il conclut son article en affirmant que ce serait un crime d’empêcher l’Afrique d’adopter un modèle de production agricole et alimentaire qui a pourtant fait les preuves ailleurs de sa non-durabilité tant du point de vue économique (voir les conditions de rémunération de la majorité des producteurs agricoles en Europe), social (voir le taux de suicide dans le monde agricole tant dans les pays industrialisés que dans ceux, comme l’Inde, qui ont adopté un modèle agricole intensif basé sur l’utilisation des produits de l’industrie agrochimique) [lire] et environnemental (dégradation des ressources naturelles qu’il utilise, perte de biodiversité et risque de krach alimentaire). Nombreux sont les articles publiés sur lafaimexpliquee.org qui illustrent cette non-durabilité (voir quelques références en fin d’article).


En faisant la promotion d’une généralisation mondiale de l’agrochimie, ce lobbyiste sacrifie l’avenir de l’alimentation mondiale - notamment en Afrique - et de la masse des plus de 500 millions de petits paysans sur l’autel des énormes profits à court terme promis aux entreprises le finançant et dont il veut contribuer à développer les activités. Du même coup, il n’hésite pas à dénoncer la seule institution multilatérale mondiale - les Nations Unies - pouvant aider à la coordination de la lutte contre quelques-uns des principaux maux frappant l’humanité (faim, pauvreté, changement climatique, dégradation de l’environnement, etc.).


Dans le même élan, il oublie allègrement l’histoire et la lourde responsabilité qu’ont eue les agronomes des puissances coloniales dans la destruction d’une agriculture complexe mais durable qui reposait largement sur des processus et synergies naturelles entre différentes plantes et animaux, c’est-à-dire des principes qui devraient nous inspirer aujourd’hui, alors que nous nous obstinons à poursuivre notre tendance à développer une production alimentaire de plus en plus contrôlée et « artificialisée ». Car c’est ce type d’agriculture fondée sur des processus naturels qui existait avant que les régimes coloniaux n’imposent la monoculture de produits tropicaux d’exportation destinés aux métropoles*.


Par exemple, au Sahel, on a ainsi remplacé le système de culture associant le mil, le niébé et le gao (acacia albida) qui utilise les complémentarités existant entre graminées et légumineuses et produisant une alimentation équilibrée en calories et en protéines pour les humains et les animaux (sans compter une multitude de sous-produits), par la monoculture du coton ou de l’arachide utilisatrice d’engrais de synthèse et de pesticides.


Il est ironique de voir qu’aujourd’hui un nombre croissant de petits producteurs en Europe appliquent à nouveau ces principes de complémentarité dans le cadre de l’…agroécologie, avec malheureusement, pour l’instant, un appui encore insuffisant de la recherche scientifique qui pourtant devra jouer un rôle prépondérant dans le développement d’une agriculture durable économiquement, socialement et du point de vue environnemental [lire].


Il nous a paru important, à lafaimexpliquee.org, de dénoncer les agents qui font la promotion d’idées - et de prétendues solutions - dommageables pour l’avenir de l’alimentation mondiale.


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* Cette affirmation est valable pour l’Afrique mais aussi pour l’Amérique Latine où l’utilisation de cultures associées était largement pratiquée par exemple dans le cadre du système Milpa.


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Sélection d’articles récents déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Une recherche scientifique sous l’influence des intérêts privés (Saison 2) : sucre et exercice physique, 2019.

  2. La Vie malade de la folie humaine : il nous faut changer de paradigmes, d’objectifs et de valeurs, 2019.

  3. Le krach alimentaire planétaire : mythe ou réalité ? 2018.

  4. Les manipulations de l’industrie sucrière révélées par trois chercheurs californiens, 2017.

  5. Opinions : Recherche édulcorée, recommandations sirupeuses, par Jomo K. Sundaram et Tan Zhai Gen, 2017.

  6. Alimentation, environnement et santé, 2017.

  7. Une recherche scientifique sous l’influence des intérêts privés, 2016.

  8. Aux États-Unis, le secteur agricole et alimentaire industriel a dépensé des centaines de millions de dollars pour influencer les médias, les consommateurs et les politiques publiques. Qu’en est-il en Europe ? 2015.

Ainsi que d’autres articles publiés sous notre rubrique «Durabilité de l’alimentation».


Voir aussi la base de données sur les lobbys en Europe: https://lobbyfacts.eu, un projet conjoint du Corporate Europe Observatory et de LobbyControl.

 

Dernière actualisation :    juillet 2019

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