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21 janvier 2017



Y a-t-il un nouveau paradigme de la recherche agricole ?



La prise de conscience que notre système agroalimentaire a de multiples rôles à jouer, les nouveaux services que les autres secteurs peuvent lui apporter, le poids croissant des grandes entreprises privées, contribuent-ils à l’émergence d’un nouveau paradigme de la recherche agricole ? Si la réponse à cette question est ‘oui’, alors il s’agit de savoir à qui ce changement bénéficiera et dans quelle mesure il permettra de rendre le système agroalimentaire plus durable du point de vue économique, social et environnemental.




Un article publié par le Secrétariat du Forum mondial sur la recherche agricole (GFAR) estime qu’une série d’événements récents, comme la 3e Conférence mondiale sur la recherche agricole pour le développement et le 5e Forum global des leaders de la science et de la technologie agricole, montre qu’il y a un nouveau paradigme de la recherche agricole.


Alors que le principal objectif de la recherche agricole a été, pendant des décennies, d’augmenter la productivité et la production agricoles, les objectifs que l’on peut retenir des présentations et discussions lors de ces événements indiquent, selon l’analyse menée par le Secrétariat du GFAR, un nouvel ensemble de priorités mondiales :


  1. « S’adapter et atténuer les effets du dérèglement climatique sur l’agriculture ;

  2. Contrôler la propagation transfrontalière des parasites et des maladies des plantes et des animaux ainsi que des zoonoses ;

  3. Utiliser de façon durable les ressources naturelles, en particulier la terre et l’eau, pour l’agriculture et la foresterie, et contrôler la dégradation de l’environnement ;

  4. Gérer la biodiversité agricole ;

  5. Améliorer les produits agricoles, le commerce des produits et les chaînes de valeurs en vue d’une meilleure qualité et sécurité des aliments. »


Ces priorités, au niveau mondial, sont, d’après les auteurs, complétées par une série d’objectifs nationaux portant notamment sur l’approvisionnement des villes en nourriture, l’amélioration des moyens d’existence et de la création d’emplois, la gestion de l’environnement et des déchets, et la production d’énergie renouvelable. C’est là une reconnaissance tardive de ce que le rôle des systèmes agricoles et alimentaires va bien au-delà de la mise à disposition de nourriture et de matières premières.


Grâce à ce changement de perspective, on constate une prise de conscience que l’innovation dans les systèmes agricoles et alimentaires ne peut pas simplement se limiter à une meilleure utilisation de plus d’intrants et d’équipements, mais qu’il s’agit de développer des technologies innovantes à forte intensité de connaissances qui puissent aider à l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, une question qui est à présent devenue une priorité de toute première importance au niveau mondial.


Comme cela a déjà été le cas historiquement (lire ici, pages 3-5), les nouvelles directions de recherche sont fortement liées aux changements survenant dans les secteurs industriel et des services et donnent une importance croissante à l’utilisation de nouvelles technologies développées dans des domaines tels que « les biotechnologies, les nanotechnologies, les technologies de l’information et de la communication ainsi que les technologies géospatiales ». Elles créent également de nouvelles opportunités pour développer des solutions adaptées aux conditions locales et ont amené à l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises locales technologiques et de conseil.


Cette nouvelle situation, selon les auteurs, crée des opportunités dans deux directions très différentes. L’une est le développement d’une agriculture high-tech, à forte intensité de capital, d’intrants, de ressources et de technologies, et orientée vers le marché. L’autre est  l’apparition d’une agriculture agroécologique, durable, à utilisation nulle ou réduite et localisée des intrants. Ceci pourrait aboutir à la mise en place d’une nouvelle forme de système agricole et alimentaire dual.


Dans un contexte de ressources budgétaires très limitées, la recherche publique fait face à des contraintes sévères dans la poursuite de ses activités et a perdu du terrain sur la recherche privée à la tête de laquelle on trouve de grandes entreprises multinationales. Cette évolution tend à favoriser la première des deux directions mentionnée dans la mesure où elle attire des investissements bien plus importants. Cette option est aussi encouragée par l’importance donnée par un nombre croissant de gouvernements au développement de filières agroalimentaires compétitives sous la coupe d’entreprises agroalimentaires privées, orientées soit vers l’exportation sur les marchés mondiaux soit vers l’approvisionnement des consommateurs urbains en nombre croissant.


De notre point de vue, à lafaimexpliquee.org, cette évolution n’est pas souhaitable, dans la mesure où ce modèle ne contribue pas vraiment à l’atteinte des objectifs du système agricole et alimentaire mentionnés dans l’analyse du GFAR. L’accent reste mis, dans ces initiatives, sur plus de production, et davantage encore, plus de profits. Le choix des technologies pourrait bien sûr, dans une certaine mesure, être influencé par les préférences de consommateurs pour une alimentation plus saine et plus favorable à l’environnement et au climat. Mais, pour l’instant, seule une minorité, même si elle est en augmentation, de consommateurs est, admettons-le, mobilisée sur ces objectifs, la masse des consommateurs, et particulièrement les plus pauvres, recherchant avant tout une alimentation bon marché.


Certes, en face de ce mouvement dominant, « des structures alternatives d’échange entre les urbains et les ruraux, tels que les marchés paysans, les coopératives et les entreprises de producteurs, les ventes directes en ligne par des producteurs et d’autres, apparaissent comme structure de commercialisation, particulièrement pour des aliments produits de façon favorable à l’environnement ».


L’analyse du GFAR souligne justement le besoin de « nouvelles directions et formes de recherche agricole, en plus des formes conventionnelles publiques et privées de recherche, de création et de dissémination de technologies pour l’ensemble du système agroalimentaire et des chaînes de valeur ».  Les auteurs signalent que de nouvelles formes d’innovation agricole sont apparues qui combinent l’action collective de collectivités locales, de petites entreprises qui profitent d’un accès plus facile à l’information par la toile et qui font souvent la promotion de pratiques agricoles plus durables telles que l’agroécologie.


Mais, il faut bien l’avouer, dans la plupart des cas, ces initiatives restent plutôt marginales et sont en situation de désavantage par rapport aux approches dominantes (lire notre article « Les politiques agricoles et alimentaires en place sont-elles favorables aux systèmes alimentaires locaux durables ? »)


Plus encourageant est un article d'un responsable du CGIAR (en anglais) qui souligne le soutien que la recherche apporte aux producteurs en terme « d’information individualisée sur quoi planter, quand planter, quand apporter l’engrais et quand récolter, et [qui les forment] sur comment interpréter et utiliser les prévisions à leur travail agricole quotidien ». Dans le même article, l’auteur rapporte aussi les efforts faits par la recherche pour développer de nouvelles technologies de transformation plus efficaces qui peuvent être utilisées par de petites entreprises agroalimentaires rurales et peuvent ainsi contribuer à créer des emplois en zone rurale et générer plus de valeur ajoutée et de richesses. Voilà qui est plus prometteur, dans la mesure où des dispositions sont prises pour rendre ces informations, ces conseils et ces technologies accessibles pour la masse de la population rurale.


En conclusion, il se peut qu’il y ait une prise de conscience du rôle du système agricole et alimentaire et des conséquences que cela a sur ce que le nouveau paradigme de la recherche agricole devrait être. Mais la réalité des recherches menées résulte d’un processus d’allocation des ressources qui ne donne pas le même poids à chacun des objectifs mondiaux fixés pour la recherche agricole, et qui reflète plutôt le rapport de forces entre les différentes parties prenantes.


Dans la pratique, la recherche agricole est outrageusement dominée par des intérêts privés et la nouvelle agriculture qui risque de se mettre en place dans l’avenir sera davantage une agriculture high-tech, à forte intensité de capital, d’intrants, de ressources et de technologies, et orientée vers le marché, qui sera peut-être plus favorable au climat et à l’environnement, mais qui sera certainement dirigée par les grandes entreprises dont l’objectif primordial reste avant tout de faire du profit, que ce soit du profit pour les entreprises du système agroalimentaire lui-même ou que ce soit du profit pour les entreprises qui sont à la pointe des technologies de données et d’information, des nanotechnologies ou de la biotechnologie.


Cette évolution, une fois de plus, laissera probablement de côté les pauvres et les plus faibles et n’apportera que peu de progrès dans la réalisation de certains objectifs déclarés tels que l’amélioration des moyens de subsistance, la création d’emplois, la réduction de la pauvreté et l’éradication de la faim. A moins que face aux intérêts privés, l’État ou d’autres formes d’organisation collective puisse mobiliser des ressources pour que la masse de la population ne se trouve pas une fois de plus marginalisée et exclue du changement.



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Pour en savoir davantage :


  1. -Bi Jieying and Ajit Maru, The changing paradigm of agricultural research and innovation, The GFAR Blog, 2017

  2. -Kwesi Atta-Krah, Focusing on Future of Food: What’s Next for Global Agricultural Research?, Interpress Services, 2016

  3. -Website of the Third Global Conference on Agricultural Research for Development

  4. -Website of the  5th Global Forum of Leaders in Agricultural Science and Technology


Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Une recherche scientifique sous l’influence des intérêts privés, 2016

  2. -Alimentation, environnement et santé, 2014

  3. -Développement de la recherche pour une technologie agricole durable et accessible, 2013


Et nos articles de la rubrique « Recherche »


 

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Dernière actualisation:    janvier 2017