Nouvelles

 


26 octobre 2013


Le Droit à l’Alimentation: avancées et limites


Dans sa lettre d’information datée du 25 octobre dernier, Olivier de Schutter fait part des conclusions du rapport qu’il vient de soumettre à l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce rapport fait le point sur les progrès «impressionnant» faitspar les États dans leur adoption de lois, de politiques et de stratégies en vue de la réalisation du Droit à l’Alimentation.




Dans son communiqué de presse, O. de Schutter fait part de trois types d’avancées:


  1. Les pays tels que l’Afrique du Sud, le Kenya, le Mexique, la Côte d’Ivoire et le Niger qui accordent une protection constitutionnelle directe au Droit à l’Alimentation, et ceux tels le Salvador, le Nigéria et la Zambie où des processus de réforme sont en cours

  2. Les pays tels que l’Argentine, le Guatemala, l’Équateur, le Brésil, le Venezuela, la Colombie, le Nicaragua et le Honduras, où des lois-cadre sur le Droit à l’Alimentation ont été adoptées souvent sous la forme de lois relatives à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, et plusieurs autres pays d’Amérique Latine où des mesures similaires sont en passe d’être adoptées

  3. Enfin des pays tels que l’Ouganda, le Malawi, le Mozambique, le Sénégal et le Mali qui ont adopté, ou sont en passe d’adopter, une législation-cadre pour l’agriculture, l’alimentation et la nutrition qui consacre le droit d’accès à l’alimentation.


Il donne aussi plusieurs exemples de décisions juridiques qui ont découlé de ces mesures (garanties de droits de pêcheurs en Afrique du Sud; condamnation de la politique du Nigéria envers les Ogoni par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de Justice de la CEDEAO; décision de développer certains programmes sociaux en Inde et de fournir une assistance alimentaire à certaines régions négligées au Népal et en Argentine).


Enfin il souligne le rôle déterminant qu’a joué la société civile et certains parlementaires qui se regroupent parfois comme dans le cadre du Front parlementaire contre la faim en Amérique Latine.


Le rapport présenté par O. de Schutter est riche en exemples et montre que bien des choses ont changé sur le front du Droit à l’Alimentation au cours des dix dernières années. Cependant, et on peut le regretter, il ne donne pas un tableau complet de la situation relative à la mise en oeuvre du Droit à l’Alimentation. C’est là d’ailleurs un tableau difficile à reconstituer qui cependant permettrait alors de voir si les avancées décrites dans le rapport se traduisent effectivement par une amélioration de la situation alimentaire dans les pays concernés. Il semble indispensable que ce travail de suivi, de collecte d’information et d’évaluation soit mené de façon systématique.


En voici une première ébauche rapide et bien imparfaite qui cependant permet d’apprendre quelques éléments utiles.


Si l’on rassemble les données du rapport d’O. de Schutter, et celles disponibles sur le site de la FAO, il est possible de dresser une liste des pays où le Droit à l’Alimentation est reconnu dans la Constitution et de voir comment a évolué leur situation alimentaire cours des années. Il en ressort une liste de 24 pays: Afrique du Sud, Bangladesh, Brésil, Colombie, Congo, Côte d’Ivoire, Cuba, Equateur, Ethiopie, Guatemala, Haiti, Inde, Iran, Kenya, Malawi, Mexique, Nicaragua, Niger, Nigéria, Paraguay, Pakistan, Sri Lanka, Uganda et Ukraine.


Les deux tableaux ci-dessous présentent cette évolution en prenant comme référence les chiffres de la FAO (Rapport sur l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde, 2013).


Evolution du nombre total de personnes sous-alimentées dans les pays où le Droit à l’Alimentation est reconnu par la Constitution (1990-2013, en millions de personnes)


Source : calcul de l’auteur à partir des données de la FAO 2013

N.B.: chiffres manquant pour l’Afrique du Sud, Cuba, l’Iran, le Mexique et l’Ukraine


Evolution du poids représenté par les personnes sous-alimentées vivant dans les pays où le Droit à l’Alimentation est reconnu par la Constitution dans la population totale de personnes sous-alimentées dans le monde (1990-2013)


Source : calcul de l’auteur à partir des données de la FAO 2013

N.B.: chiffres manquant pour l’Afrique du Sud, Cuba, l’Iran, le Mexique et l’Ukraine


Que peut-on déduire de ces deux tableaux?


  1. Le nombre de personnes sous-alimentées vivant dans les pays où le Droit à l’Alimentation est reconnu par la Constitution est en diminution au cours des dix dernières années. Cette diminution est forte en Asie et en Amérique Latine, mais seulement marginale en Afrique

  2. Globalement, au niveau mondial, cette diminution a été moins rapide que dans le reste du monde, sauf en Afrique où le nombre de sous-alimentés a augmenté fortement dans les pays où le Droit à l’Alimentation n’est pas reconnu par la Constitution. C’est particulièrement vrai en Amérique Latine qui est pourtant à la pointe de la reconnaissance du Droit à l’Alimentation.


Ces conclusions sont surprenantes au premier abord. Mais elles soulèvent deux questions essentielles:


  1. Si la reconnaissance légale du Droit à l’Alimentation n’est pas suffisante pour se traduire par une diminution rapide du nombre de personnes sous-alimentées, est-ce dû au fait que ce Droit n’est souvent pas effectivement opposable et n’a pas encore abouti à la mise en place de programmes visant à la réduction des personnes souffrant de faim chronique?

  2. L’impact mitigé de la reconnaissance du Droit à l’Alimentation est-il dû, comme semblent le suggérer certains des exemples avancés dans le rapport d’O. De Schutter,  au fait qu’à l’heure actuelle la reconnaissance du Droit à l’Alimentation se traduit surtout par des actions prises dans une situation de crise et d’urgence où les victimes de la faim sont bien visibles et leur vie est menacée de façon spectaculaire?


Espérons que le Rapporteur spécial, la FAO ou toute autre organisation ayant la capacité de faire ce travail mettra en place un système de suivi du Droit à l’Alimentation qui permettra de répondre à ce type de questions afin de pouvoir améliorer encore le travail de promotion de ce droit fondamental pour le rendre plus efficace.


Lire le rapport d’O. de Schutter.

 

Dernière actualisation:    octobre 2013

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com