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27 juin 2021


En France, le débat sur l’avenir de l’agriculture et l’alimentation ne fait qu’effleurer le sujet


La loi qui devait rendre l’agriculture et l’alimentation plus durables et plus saines


Adoptée en octobre 2018, la loi « #EGalim, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » devait : (i) payer le juste prix aux agriculteurs, pour leur permettre de vivre dignement de leur travail ; (ii) renforcer la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits ; et (iii) favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous.


Pour cela, on trouvait parmi les mesures incluses dans la loi l’obligation de la prise en compte lors des négociations des prix payés aux producteurs des coûts de production des produits et de l’évolution éventuelle des prix des matières premières et de l’énergie utilisées par l’agriculture. On y trouvait également l’interdiction des néonicotinoïdes et du dioxyde de titane.


Trois ans plus tard, force est de constater que la loi n’a pas mis l’agriculture française sur une voie permettant la réalisation de ses objectifs. Le revenu de beaucoup d’agriculteurs reste très bas, et l’usage des néonicotinoïdes est à nouveau autorisé depuis 2020 sur les betteraves [lire]. 


Interrogé sur France Culture le 24 juin dernier, Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, syndicat majoritaire des agriculteurs, demandait une modification de la loi pour que les producteurs puissent profiter d’un prix juste et ne plus dépendre des aides, dans la mesure où les dispositions de la loi #EGalim ne prenaient pas suffisamment en compte les coûts de production « réels » des producteurs et réclamait une « indexation des prix sur le coût des aliments du bétail et du carburant ».


Bénézit précisait aussi que les mesures proposées par la FNSEA n’auraient qu’un impact minime sur les prix payés par les consommateurs (1 à 2 euros par mois), si l’on s’assurait que l’augmentation annuelle observée de 2 % du prix de l’alimentation depuis 2018 bénéficiait aux producteurs, et non aux intermédiaires (sous-entendu, principalement à la grande distribution) [écouter l’interview, 4 min].




Une conception étriquée, bien loin du compte


Il n’est pas nécessaire d’être un expert des questions agricoles et alimentaires pour comprendre que la loi #EGalim est un échec, autant dans sa mise en œuvre, dans ses résultats, que dans sa conception.


C’est un échec dans sa mise en œuvre, puisque l’objectif d’améliorer les prix agricoles n’a pas été atteint et que les maigres mesures environnementales n’ont pas toutes été pleinement respectées.


C’est un échec dans son résultat, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer pour la France, pour ce qui est de l’utilisation des pesticides [lire]. Ce constat d’échec peut d’ailleurs être élargi à l’Europe dans son ensemble par rapport à sa transition verte [lire].


Mais le plus inquiétant encore, c’est que son échec était inscrit, dès le départ, dans la conception de cette loi. Et ce n’est pas la nouvelle loi #EGalim2, en train d’être discutée, qui résoudra le problème, puisqu’aucun des partenaires (gouvernement, producteurs, agroindustriels de l’amont et de l’aval, grande distribution, et mêmes consommateurs) ne pose véritablement les questions de fond qu’il s’agit de régler pour assurer une transition vers une alimentation et une agriculture durables d’un point de vue social, économique, environnemental et sanitaire.


Quelles sont-elles ?


  1. Dans le domaine économique et social : comment assurer aux agriculteurs des revenus équivalents à ceux des travailleurs des autres secteurs (c’était là déjà l’un des objectifs de la première Politique agricole commune de ce qui s’appelait encore la Communauté économique européenne, ou le « Marché commun » en 1962) ?

  2. Dans le domaine environnemental : comment réduire les impacts négatifs de l’agriculture et de l’alimentation sur le climat et les ressources naturelles ?

  3. Dans le domaine de la santé : comment garantir une alimentation saine pour tous ?


Or, orienté par les propositions du principal syndicat des producteurs, le débat s’apprête à ne prendre en compte que les coûts « réels » du marché, c’est-à-dire les dépenses pour les semences, les engrais, les pesticides et les carburants (pour ne parler que des frais variables), en faisant l’impasse totale sur tous les coûts découlant des conséquences de la production agricole et alimentaire (les fameuses externalités négatives qui ne sont pas reflétées par le marché ou que l’on ne paye pas tout de suite, mais dans l’avenir - et l’avenir, tout le monde a l’air de s’en moquer !), c’est-à-dire le changement climatique, la dégradation et la pollution des sols, la contamination des eaux, la perte de biodiversité et les conséquences sanitaires pour les consommateurs mangeant une nourriture contaminée par des produits chimiques nocifs [lire].


Bref, il n’y a que peu de chance que l’on fasse des propositions qui permettent d’aller dans le sens d’une plus grande durabilité de l’agriculture du point de vue environnemental ou sanitaire. Ce n’est qu’une demie surprise, puisque l’on sait que ce syndicat est très proche des coopératives agricoles dont l’activité la plus lucrative est… la fourniture de produits agrochimiques, notamment les pesticides, aux producteurs.


Pour ce qui est du gouvernement, il reste prisonnier du vieux principe (datant du 18e siècle, du temps de l’économiste classique écossais Adam Smith) qui veut qu’un prix bas de la nourriture permette de garder des salaires bas, et donc de préserver les profits dans les secteurs autres que l’agriculture, ce qui y favorise les investissements et la croissance économique [lire en anglais p.7-11], et préserve la « compétitivité » de l’économie.


C’est là, bien sûr, une vision à très court terme de la compétitivité, puisqu’elle est maintenue au détriment de la dégradation du climat, des ressources naturelles et de la santé de la population. En d’autres termes, il s’agit là d’une compétitivité apparente et non durable dont les conséquences délétères finiront frapper le pays.


Cette vision de l’agriculture, adoptée de manière assez générale dans le monde, fait que les travailleurs du secteur agricole sont sous-rémunérés presque partout dans le monde*, ce qui explique sans doute largement le fait que la pauvreté reste encore principalement un phénomène rural et agricole, même si, avec l’urbanisation croissante de la population, une nouvelle classe de travailleurs particulièrement vulnérables a fait son apparition, surtout dans les pays pauvres, dont la visibilité est devenue patente en période de crise [lire].


Pour conclure, provisoirement


Tant que le débat sur l’agriculture et l’alimentation, et les politiques qui sont censées orienter ce secteur se borneront à effleurer les questions essentielles en se limitant à ce que dit le « marché », il y a peu de chance que l’on progresse vers une agriculture et une alimentation saine et durable.


Pourtant, il y a urgence. Le climat se dégrade (gel, chaleur, sécheresse, tempêtes, inondations, etc.), la biodiversité est en chute libre, nos sols et nos rivières sont pollués, et les maladies liées à l’alimentation sont sans cesse en augmentation. Mais nos responsables préfèrent regarder la partie visible de l’iceberg et raisonner du point de vue financier, en sacrifiant notre intelligence sur l’autel du « présentisme » qui donne la priorité à l’immédiat au détriment du futur [lire].


Malheureusement, la crise environnementale qui nous guette, si nous restons aveugles et persistons à ne pas vouloir agir maintenant, sera bien pire que celle qu’occasionne la COVID-19!




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  1. Dans la moitié des pays du monde, le revenu créé par travailleur dans l’agriculture est moins de la moitié que celui créé en moyenne par travailleur dans l’ensemble de l’économie. Ceci n’est pas seulement le cas dans les pays pauvres, mais est également avéré dans les pays riches, même aux États-Unis.



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Pour en savoir davantage :


  1. Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, #EGalim : ce que contient la loi Agriculture et Alimentation, 2019.

  2. Mellor, J., The functions of agricultural prices in economic development (p. 7-11), The Indian Society of Agricultural Economics, 1971 (en anglais).




Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. L’Union Européenne et l’impérieux défi de sa transition verte, 2021.

  2. Le vrai coût de notre nourriture - Le marché seul peut-il guider notre système alimentaire vers plus de durabilité ? 2020.

  3. Les pesticides : une question qui empoisonne notre agriculture, 2020.

  4. Dénigrer les agriculteurs, c’est se tromper de cible : plaidoyer pour les agriculteurs français, 2019.

  5. Politiques pour une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et plus respectueux du climat, 2018.

  6. Le krach alimentaire planétaire : mythe ou réalité ? 2018.

  7. Alimentation, environnement et santé, 2017.

 

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Dernière actualisation :    juin 2021