Les ressources naturelles : La pêche

 


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Ressources naturelles


La pêche:


Le monde pourra-t-il faire face à une demande croissante de poisson,

tandis que les réserves halieutiques s’épuisent

et que la dégradation de l’environnement s’accélère ?




L’une des sources de protéines animales à la croissance la plus rapide


Au cours des six dernières décennies, la consommation alimentaire de poisson1 a augmenté extrêmement vite (3,1 % par an). Selon la FAO, le volume total de la demande de poisson a été multiplié par près de 8 depuis 1950, ce qui en fait la source de protéines animales à la croissance la plus rapide après la viande de volaille ! [lire] La majeure partie du poisson est utilisée pour l’alimentation, le reste (12 %) étant employé pour fabriquer de l’huile de poisson et des farines animales (Fig. 1).


Fig. 1 : Évolution de la consommation mondiale de poisson

(alimentaire et non alimentaire) (1950-2018)



Source: FAO, 2020


Bien entendu, la croissance démographique est un facteur explicatif important de cette augmentation, mais, en plus, la consommation par habitant s’est elle-même accrue de manière remarquable, puisqu’elle a plus que triplé entre 1950 et 2018.


Dans la région Asie de l’Est et Pacifique (y compris la Chine) où la demande de poisson est la plus forte au monde, la consommation par habitant a atteint près de 40 kg/habitant/an, soit pratiquement le double de la moyenne mondiale.


À l’opposé, c’est en Afrique et en Asie du Sud que le poisson est le moins consommé (environ 8 kg/habitant/an) (Fig. 2).


Le dynamisme de la consommation de poisson peut être expliqué par sa très haute qualité nutritionnelle. Beaucoup de gouvernements ont conseillé à leur population de manger plus de poisson [lire] et des efforts considérables ont été consentis à travers le monde pour accroître sa disponibilité grâce au développement de l’aquaculture. Cela fait dire à certains que si la consommation a tant augmenté, c’est aussi en grande partie dû au fait que le poisson est devenu plus disponible au cours de ces dernières décennies. En outre, avec des revenus améliorés, surtout pour les classes moyennes urbaines, un plus grand nombre de personnes a pu se permettre d’acheter du poisson.


Aujourd’hui, plus de 3 milliards de personnes tirent plus de 20 % de leurs protéines animales du poisson.


Fig. 2 : Consommation annuelle moyenne de poisson par habitant

dans différents pays (1997 to 2017)



Source: FAO, 2020


Plus de la moitié du poisson produit dans le monde provient de l’aquaculture


La production mondiale de poisson a été multipliée par 12 depuis les années 1950. Jusqu’aux années 1970, plus de 90 % du poisson provenaient de la pêche par capture. Lors de décennies suivantes, l’aquaculture s’est développée à une vitesse record, parfois à un rythme de plus de 10 % par an. En 2019, l’aquaculture était devenue plus importante que la pêche par capture et elle pourvoyait 56 % de la production totale de poisson (120 millions de tonnes) (Fig. 3).


Entre 1950 et 2018, le volume de poisson fourni par l’aquaculture a été multiplié par plus de 200 ! La plus grande partie de cette expansion (80 %) a été réalisée en Asie, la Chine seule représentant 57 % de la production de l’aquaculture mondiale.


Fig. 3 : Évolution de la production mondiale de poisson

par capture et par aquaculture (1950 to 2019)



Source: données FAO


En fait, l’aquaculture est devenue la principale source de poisson en Chine puisqu’elle fournit plus de 80 % du poisson consommé dans ce pays. Au contraire, elle n’apporte que 7 % du poisson en Afrique Sub-Saharienne.


La production de poisson de capture et d’aquaculture est, dans sa majorité, originaire d’Asie, la Chine, seule, produisant plus du tiers du poisson dans le monde (Fig. 4)


Fig. 4 : Distribution de la production de poisson par région

(moyenne sur 2010-2018)



Source: données FAO


La pêche est le moyen d’existence d’environ 500 millions de personnes dans le monde


La FAO estime qu’environ 60 millions de personnes gagnent leur vie à partir de la pêche, deux tiers dans la pêche de capture et un tiers dans l’aquaculture. La plupart de ces personnes (80 %) se trouvent en Asie [lire]. On pense qu’en tout, à peu près 180 millions de personnes travaillent dans les filières liées au poisson (production, transformation, commercialisation, etc.) et font vivre un total de 500 millions de personnes. Ce nombre est comparable au nombre de personnes tirant leur subsistance de la forêt [lire].




Il y a relativement peu de données et d’information sur la manière dont la production de poisson se partage entre la pêche artisanale et la grande pêche industrielle, mais quelques données suggèrent que la pêche artisanale est sous-estimée et négligée dans les politiques nationales et régionales. Certaines études indiquent que la pêche artisanale joue un rôle central dans la sécurité alimentaire tant des pêcheurs que dans celle des pays concernés. Elles révèlent également que son importance dans la prise de poisson est en diminution, tandis que la pêche industrielle voit sa place croître. En Asie du Sud-Est, par exemple, la part estimée de la pêche industrielle dépend du pays, mais elle a considérablement augmenté depuis les années 1960 pour atteindre presque les deux tiers de la prise de poisson totale en 2013 [lire en anglais] (Fig. 5).


Fig. 5 : Évolution de la prise totale de poisson au Cambodge, en Malaisie, en Thaïlande et au Vietnam montrant l’importance des divers secteurs (1950-2013)



Source: Teh et al., 2018.


La pêche industrielle de haute mer est massivement entre les mains des pays riches, comme le démontrent les résultats des techniques d’apprentissage machine appliquées au big data, produits par la Global Fishing Watch platform (Fig. 6) [lire en anglais].


Fig. 6 : Distribution géographique de la pêche industrielle

(A : sous pavillon de pays riches ; B : sous pavillon de pays pauvres)



Source: McCauley et al., 2018.


Le développement de la pêche industrielle a été entaché de violations des droits humains et de la réglementation du travail, et il y a eu des dénonciations d’abus de vulnérabilité, de tromperies, de restrictions de la liberté de circulation, d’isolation, de violences physiques et sexuelles, de travail des enfants, d’intimidations ou de menaces, de confiscations des documents d’identité, de rétentions de salaire, de cas de servitude pour dette, de mauvaises conditions de travail et de vie et d’imposition abusive d’heures supplémentaires aux travailleurs [lire en anglais (avec résumé en français)].


En outre, les dispositions contractuelles entre les pays côtiers et les grandes entreprises de pêche ont souvent été caractérisées par un manque de transparence et de participation à la prise de décision et la mise en œuvre des principales parties prenantes du secteur, telles que les pêcheurs locaux, les industriels de la transformation, les scientifiques et les ONGs. Dans plusieurs cas, l’opacité dans l’octroi de permis de pêche a suscité des controverses [lire]. Davantage d’efforts sont nécessaires pour s’assurer que l’argent collecté finance des biens publics et que l’impact environnemental, social et économique des activités de pêche industrielle soit correctement étudié [lire], d’autant plus qu’il est bien connu que les bateaux industriels interagissent davantage avec les habitats (car travaillant directement ou près des fonds marins) et plus particulièrement avec les écosystèmes vulnérables [lire].


Pêches et santé - bénéfices et risques


Les bienfaits nutritionnels du poisson


Le poisson est riche en protéines animales de qualité et d’acides gras polyinsaturés qui sont des lipides sains qui peuvent aider à réduire le niveau de « mauvais » cholestérol dans le sang [lire]. Le poisson contient également un grand nombre de micronutriments essentiels pour la sécurité nutritionnelle (acides aminés essentiels, vitamines A, B et D, fer, calcium, zinc et sélénium). Il peut avoir d’autres effets métaboliques bénéfiques [lire en anglais] et est particulièrement indiqué pour le développement physique et cognitif des enfants [lire en anglais].


Risques sanitaires associés à la consommation de poisson


L’eau (qu’elle soit douce ou de mer) est de plus en plus contaminée par divers polluants tels que le plastique, les matières azotées et phosphatées, le mercure et d’autres métaux lourds, les pesticides, des produits organiques tels que les médicaments et les antibiotiques, et les acides [lire p. 5-7]. Ces substances sont désormais trouvées fréquemment dans le poisson [lire] et elles peuvent être stockées petit à petit dans l’organisme de ceux qui consomment de grandes quantités de nourriture contaminée. Quand elles s’accumulent dans les organes humains, elles peuvent causer des inflammations et être associées à de sérieuses conséquences sanitaires, notamment chez les femmes [lire].


De plus, le poisson peut aussi être contaminé par des mycotoxines synthétisées par des champignons qui peuvent provoquer le cancer. Une telle contamination est particulièrement fréquente dans l’aquaculture où les champignons proviennent de l’alimentation utilisée pour élever les poissons [lire en anglais].


Les antibiotiques sont également régulièrement présents en aquaculture. Ils y sont employés pour augmenter les taux de croissance, et pour prévenir, traiter et contrôler les maladies. Ces substances sont souvent utilisées systématiquement et en grande quantité dans l’élevage de poisson et d’animaux plus généralement, et l’on sait qu’elles induisent la résistance aux antibiotiques chez les microbes. En 2019, on estime que près de 5 millions de personnes décédées souffraient d’au moins une infection résistant aux antibiotiques et que la résistance aux antibiotiques a causé directement plus d’un million de morts. Ce chiffre pourrait atteindre 10 millions par an d’ici 2050 [lire ici et ici, en anglais].


La surpêche épuise les réserves halieutiques et menace le futur de la pêche


Selon la FAO, les réserves mondiales de poisson sont en train d’être épuisées progressivement. Alors qu’en 1974, seules 10 % des réserves halieutiques subissaient une surpêche, cette proportion a atteint plus du tiers en 2017. Pendant ce temps, les zones sous-exploitées sont tombées à moins de 10 % du total [lire] (Fig. 7).


La surpêche est particulièrement aiguë dans les mers Méditerranée et Noire (près des deux tiers), suivies par le Sud-Est de l’Océan Pacifique et le Sud-Ouest de l’Océan Atlantique [lire].


Fig. 7 : Évolution des réserves mondiales de poisson (1974–2017)



Source: FAO, 2020


Plus généralement, on observe des signes montrant que les écosystèmes marins et leurs ressources sont en train d’être dégradés : par exemple, la moitié, environ, de la zone des coraux couverte par du corail vivant a disparu depuis les années 1870, et la tendance s’est accélérée au cours des dernières décennies dans la mesure où le changement climatique amplifie les effets d’autres facteurs tels que la surpêche et la pollution [lire en anglais]


Cette évolution constitue clairement une menace pour l’avenir de la pêche.


Pêche et changement climatique


La pêche est une importante activité émettrice de gaz à effet de serre (GES)


La pêche est responsable de 2,6 % des émissions de GES liés à l’alimentation. Elle produit annuellement environ 180 millions de tonnes d’équivalent CO2 (soit plus que les émissions de GES des Pays-Bas) [lire en anglais].


Les émissions de GES dus à la pêche ont augmenté de 28 % entre 1990 et 2011, alors que les émissions par tonne de poisson ont cru de 12 % [lire en anglais].


La pêche halieutique est une activité particulièrement exigeante en énergie (40 milliards de litres de carburant par an). Plus les réserves de poissons baissent, et plus on aura besoin de combustible pour prendre la même quantité de poisson.


L’aquaculture produit moins de GES par kilogramme de nourriture que les animaux terrestres ou que la pêche par capture. Elle a cependant d’autres effets nocifs sur l’environnement, affecte la qualité de l’eau et réduit la biodiversité marine [lire en anglais].


La pêche souffre également des conséquences du changement climatique


Le réchauffement des mers et des océans causé par le changement climatique provoque du stress thermique, a des conséquences sur le déroulement, dans le temps, des processus biologiques et diminue la productivité des systèmes marins. Simultanément, une acidité plus forte des eaux affecte la vie calcaire marine (foraminifères, algues, coraux, crustacés et coquillages) et sa productivité. Des chercheurs ont estimé que le réchauffement, l’acidification, la désoxygénation des océans et l’augmentation du niveau de la mer pourraient réduire jusqu’à 40 % la prise maximale de poissons tropicaux dans certaines zones d’ici 2050, comparé au début du siècle, si des efforts sérieux ne sont pas faits pour atténuer les émissions de GES [lire en anglais].


Des tempêtes plus violentes et des mers plus fortes rendent la pêche en mer plus dangereuse et perturbe la pêche côtière, provoquant une perte de production, au fur et à mesure que le niveau de la mer monte. Ces conséquences se ressentent plus dans les petites îles équatoriales et dans les îles septentrionales. Le réchauffement et l’acidification des océans ont un effet sur la prise de poisson dans les latitudes plus élevées, alors que les inondations, cyclones et mers fortes frappent plus les pays équatoriaux [lire en anglais].


Le changement climatique a également un impact sur la distribution des réserves de poissons et il modifie leur composition en espèces et leur productivité. Les mouvements de populations de poissons pourraient créer des conflits sur les zones de pêche [lire en anglais].


Conclusion


La consommation de poisson a connu une augmentation impressionnante au cours des dernières décennies. Ce grand succès n’a pu se faire que grâce à une croissance exceptionnelle de l’aquaculture, surtout pendant ces trente dernières années, alors que la pêche par capture stagnait du fait d’une baisse des réserves mondiales de poisson.


Le succès du poisson est en grande partie le résultat de campagnes d’information expliquant aux consommateurs l’intérêt qu’il présentait du point de vue de la santé (protéines animales de qualité, acides gras polyinsaturés et nutriments divers). Malheureusement, l’augmentation de la pollution des eaux, tant douces que marines, tempère la valeur sanitaire du poisson, dans la mesure où sa chair contient de plus en plus fréquemment des quantités non négligeables de substances nocives. Cette réalité risque de menacer sérieusement l’engouement des consommateurs autour du poisson et la demande.


L’impact environnemental du développement de la consommation de poisson, lui non plus, n’est pas négligeable. L’aquaculture, pour efficace qu’elle soit par rapport à l’émission des GES, contribue à dégrader la qualité de l’eau, nuit à la biodiversité et concourt au phénomène préoccupant de résistance aux antibiotiques.


La pêche halieutique, elle aussi est de moins en moins durable : baisse des réserves de poissons, fortes émissions de GES, violations scandaleuses des droits humains et du droit du travail, surtout dans le cas de la pêche industrielle. En outre, elle est particulièrement vulnérable au changement climatique.


La réponse à la question posée dans le titre de ce texte dépendra de la réponse apportée aux problèmes soulevés ici. Ceux-ci demandent des mesures radicales et l’adoption de pratiques durables du point de vue économique, social et environnemental, si l’on ne veut éviter que l’engouement pour le poisson ne s’estompe et ne laisser que le souvenir d’un feu de paille de quelques décennies.


Materne Maetz

(mars 2022)


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Pour en savoir davantage :


  1. FAO, Objectifs de développement durable, Indicateur 14.4.1 - Proportion de stocks de poissons dont le niveau est biologiquement viable, en ligne.

  2. PNUE, Une évaluation complète des déchets marins et de la pollution plastique met en garde contre les fausses solutions et confirme la nécessité… Communiqué de presse, Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 2021.

  3. FAO, La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2020. La durabilité en action, Rome, 2020.

  4. ANSES, Manger du poisson : pourquoi ? comment ?  Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, 2019. 

  5. Teh L. C. L. et D. Pauly, Who Brings in the Fish? The Relative Contribution of Small-Scale and Industrial Fisheries to Food Security in Southeast Asia, Sea Around Us, Institute for the Oceans and Fisheries, The University of British Columbia, Vancouver, Canada, 2018 (en anglais).

  6. McCauley, D.J., et al., Wealthy countries dominate industrial fishing, Science Advances Vol 4, Issue 8, 2018 (en anglais).



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Les ressources en eau : stress hydrique et pollution, 2022.

  2. L’omniprésence du plastique (Saison 2) - Le plastique dans la Méditerranée et dans notre alimentation, 2019.

  3. L’omniprésence du plastique : du plastique protégeant la nourriture à la nourriture contenant du plastique, 2018.

  4. La pêche et l’aquaculture mondiale en eaux troubles, 2018.

  5. L’alimentation d’origine marine et le tabac accusés d’être responsables du fort niveau de contamination en métaux des femmes enceintes en France, 2017.

  6. Opinions : La menace catastrophique des antibiotiques dans notre alimentation, 2017.

 

Dernière actualisation:  mars 2022

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